Gabriels : l’échelle de Jacob

« Il s’agissait juste d’écrire des histoires de notre génération, et de celle de nos parents. De voyager vers l’obscurité et d’y trouver la lumière même lorsqu’il ne restait plus qu’une seule lueur fugace. » Ainsi parle Jacob Lusk*, la voix de Gabriels, et quelle voix !

Une voix que les Américains ont pu découvrir il y a presque 10 ans maintenant sur leur petit écran avec l’émission American Idol, saison 10, si si… De la « reality competition » sur HdO me direz-vous, les ravages de la Covid sur la rédaction ? Que nenni, car Gabriels est un groupe, ou plutôt un trio, et de ce programme imposé « à qui chantera le plus fort » a émergé un petit miracle comme il n’en n’arrive qu’aux USA, parfois.

On ne sait par quel concours de circonstances Jacob Lusk a ensuite rencontré Ari Balongian et Ryan Hope, producteurs, compositeurs et vidéastes du label-studio Appraiser, mais l’alchimie est hors norme. Prenez une voix, celle de Lusk, à mi-chemin entre Anonhi et Brittany Howard, une voix androgyne donc, capable de passer d’une octave à une autre avec une suavité et un recueillement à faire frissonner. « C’est beau, on dirait une crèche » disait l’autre**, et c’est vrai, à tel point qu’on l’imagine sans peine interpréter successivement I heard It Through The Grapevine, Mary Don’t You Weep et Brown Baby, rejoignant ainsi au panthéon du jazz et du R&B d’aussi illustres aînés qu’Aretha Franklin – avec laquelle il partage une foi toute évangélique –, Marvin Gaye ou Oscar Brown Jr.

Mais tout cela n’est rendu possible que grâce à ses mystérieux comparses et à leur exceptionnel travail de production et d’arrangements studio. La voix est belle, bien sûr, mais l’utilisation précise et inspirée de choeurs, d’échos, et de samples, apporte une tonalité trip-hop – In Loving Memory, par exemple, évoque franchement Goldfrapp – ou les expérimentations sonores de Nicolas Repac, période Black Box, notemment sur The Blind. Et c’est ainsi, qu’oscillant sans cesse entre R&B, gospel et art pop, la musique des Gabriels s’affirme avant tout comme un heureux melting-pot.

Gabriels - Jacob Lusk
Gabriels – Jacob Lusk

Métissage de la musique soul afro-américaine, métissage entre les époques et les styles, rétro-futurisme, Love And Hate In A Different Time ressemble à la pochette de l’album : une élégante jeune femme noire des années 60 au regard doux et déterminé (la propre grand-mère de Jacob Lusk), fixant l’auditeur par-delà les cahots de l’Histoire américaine. En écoutant, et en la regardant, on se perd dans une douce et triste rêverie vers un monde où l’on respirerait plus librement et où les vies, quelles qu’elles soient, auraient toutes la même importance.

Alors prions l’archange Gabriels, avec pareille musique, sait-on jamais, America, one day, could be, really great again…

Nouvelle vidéo pour The Blind le 6.11.2020
Gabriels. E.P Love And Hate In A Different Time. Sortie le 4.12.2020 (Auto-production)

*Texte traduit à partir de la page Facebook de Jacob Lusk
**L’inénarrable Bernard Blier devant des barres de jonc dans « Faut pas prendre les enfants du bon dieu pour des canards sauvages ».