Ryley Walker – Golden Sings That Have Been Sung
« Mes précédents albums étaient merdiques ». Lorsqu’un musicien vous dit ça en vous regardant droit dans les yeux, il y a plusieurs possibilités : ses précédents albums étaient vraiment merdiques et le nouveau risque d’être à l’avenant ; il est arrogant et manie volontiers la provocation, ou… il est vraiment persuadé de ce qu’il dit – au moins sur le moment – parce qu’il met la barre très haut. Très très haut…
C’était tout l’enjeu de l’interview que nous a accordé Ryley Walker en juin 2016. Résultat : des montagnes de perplexité jusqu’à ce que Golden Sings That Have Been Sung n’atteigne enfin nos écouteurs. Car non, All Kinds Of You – quoique peut-être moins abouti mais porté par le sublime The West Wind et la guitare magique de Walker en guise de cohésion – et Primrose Green, n’étaient pas d’atroces pastiches du revival folk de la fin des années 60 ! Bien loin de l’habituelle mièvrerie folk souvent dissimulée sous un habillage tout en joliesse, les précédents albums de Ryley Walker laissaient déjà poindre une dimension plus rude, plus intransigeante et surtout plus expérimentale.

Restait à confirmer et c’est chose faite. Alors autant commencer par la fin, l’impression que laisse Golden Sings That Have Been Sung se résume en une formule à la Magritte : « ceci n’est pas du folk », et c’est tant mieux. Bien sûr, la guitare, même légèrement plus en retrait, reste la colonne vertébrale de la plupart des morceaux, principalement sur une ballade comme I Will Ask You Twice, mais la comparaison s’arrête là. Produit par LeRoy Bach, le multi-instrumentaliste de Wilco, Golden Sings se déroule presque lentement, ondule, porté par des arrangements jazzy qui osent l’utilisation d’instruments comme la clarinette, la contrebasse ou la harpe. L’ensemble est étrangement subtil, suave, perturbé à point nommé par un titre comme Sullen Mind. Sullen Mind, esprit chagrin… Ruptures, jaillissements sonores menant progressivement à l’extase, paroles répétitives (« I only have a Christian education »), visions oniriques, on penserait presque aux Doors, période The End, mais ce serait dommage.
Car c’est au Roundabout, « le début et la fin de l’univers, mais surtout une taverne 1 » comme il le dit lui-même, que l’on rencontre enfin le vrai Ryley Walker, les poches vides et l’âme affamée. A force de marcher, ou de dévorer l’asphalte, ses compositions se sont imprégnées du rythme lancinant de la route et cheminent les yeux fermés dans une sorte de transe immobile. Ce n’est pas un hasard, l’album s’achève par Age Old Time, 8 minutes d’un hommage hypnotique à Alice Coltrane qui ne semblent durer qu’un instant et véritable point d’orgue d’un opus qui flirte avec la perfection. Pas sûr qu’avec tout ça Ryley Walker puisse enfin s’acheter une voiture mais il y a fort à parier que ce soit déjà un classique. « Post-scriptum, I’m in outer space », nous aussi.
Golden Sings That Have Been Sung, sortie le 19 août 2016, Dead Oceans.
1- « The roundabout is the beginning and end of the universe. The cyclical motion of good and bad. It’s also a tavern ».
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