A Viagem Das Horas : le temps retrouvé de José Mauro

Imaginez une carte au trésor dont l’une des deux moitiés aurait été perdue, une rançon de roi dans un coffre fabuleux qui aurait toujours été là, sous vos yeux. C’est à peu près ce que ressentiront les quelques privilégiés qui ont eu la chance de découvrir en 2016 Obnoxius, le chef d’oeuvre de José Mauro, et qui peuvent désormais écouter son pendant, A Viagem Das Horas, lui aussi enregistré à Rio de Janeiro en 1970

A Viagem Das Horas, « Le voyage des heures », jamais titre n’avait été plus prédestiné pour cette exemple éblouissant des grandes heures de la musique brésilienne. Et voilà que le sable du temps, qui avait recouvert de mystère l’existence même de José Mauro, soudain se dissipe. Le génie perdu est enfin retrouvé, et c’est cette fois avec son aval que Far Out Recordings contribue à la ressortie de l’album. Album, qui plus est, qui ressort dans son intégralité – il fut un temps accessible en version abrégée, étrangement agrégé de morceaux déjà présents dans Obnoxius -, et est même, ô joie, accompagné de trois autres morceaux également enregistrés à l’époque : Rua Dois, Moenda et Variação Sobre Um Antigo Tema.

Roberto Quartin, Ana Maria Bahiana, José Mauro
Roberto Quartin, Ana Maria Bahiana, José Mauro

Le voyage imaginaire reprend là où vous l’aviez laissé ; la lune brille au-dessus du Corcovado, la route défile à toute allure et la voix de José Mauro, au timbre si particulier, psalmodie les incantations rêvées par Ana Maria Bahiana, poétesse désormais journaliste, portée par des envolées de cuivres, de cordes et de choeurs aux inflexions presques mystiques. Il y a de l’urgence dans les arrangements et les orchestrations de Roberto Quartin et de Lindolfo Gaya, une mélancolie très bossa un peu dissonante et un certain sens de la transe inspiré par les rites afro-brésiliens du Candomblé. Quels orishas sont invoqués ici, nul ne le sait, mais ils ont du, ces cinquante dernières années, accompagner la destinée de José Mauro.

Car l’homme est bel et bien vivant, malade et diminué certes, mais vivant. Après avoir continué pendant quelques années à composer pour le théâtre et à enseigner la guitare, il s’est, comme il le confiait au Guardian début juin 2021, éloigné peu à peu de la musique, trop affaibli pour s’y consacrer pleinement. Il faudra donc savourer comme il se doit ces douze morceaux retrouvés, leur expressivité, la lumineuse complexité de leurs arrangements, jusqu’à ce O Ninho qui vient clore l’album tel un continuum vers Obnoxius. Les heures, les années ont passé : le voyage peut recommencer.

José Mauro, A Viagem Das Horas. Le 28 mai 2021 chez Far Out Recordings