Gal Costa, Nenhuma Dor : l’éternelle jeunesse de la musique brésilienne
Foisonnante musique brésilienne, foisonnante comme la discographie de Gal Costa, l’une de ses plus célèbres représentantes. Pour ses 75 ans, et plus de 50 ans de carrière, celle dont la voix est reconnue comme l’une des plus importantes dnu Brésil, publie un nouvel album avec la jeune garde lusophone, Nehuma Dor.
Nehuma Dor : littéralement « sans douleur ». Le titre fut écrit en son temps à quatre mains avec Caetano Veloso – en 1967 – et figure sur l’album Domingo. Domingo, premier album de la chanteuse, qui sera entièrement composé et interprété en duo avec ce même Caetano, ami de toujours. Un disque doux et mélancolique où leurs deux voix, aussi gracieuses l’une que l’autre, feraient presque oublier que cette bossa nova, qui allait bientôt pour eux se teinter de tropicalisme, fleurissait alors en pleine dictature.
50 ans plus tard, Gal Costa n’a rien oublié, ni l’emprisonnement et l’exil de Caetano Veloso et de Gilberto Gil (pour « activités non-gouvernementales », formule inventive pour désigner la musique et les arts en général) ni le retour effarant en 2018 d’un fascisme qui ne dit pas son nom. Comment une partie de la jeunesse peut-elle demander, et voter pour, pareille régression s’interroge t’elle dans de nombreuses interviews accordées à la presse brésilienne ? Comment la gestion d’une pandémie telle que nous la vivons peut-elle à ce point déchirer un peuple et laisser béante la fracture sociale sans que ses dirigeants s’en inquiètent outre mesure ?

C’est peut-être pour cette raison que la chanteuse, qui jouit dans son pays d’une indéniable notoriété, a imaginé ce nouvel album sous la forme de duos avec la « nouvelle garde » de la chanson brésillienne, à deux exceptions près. Sous la direction artistique de Marcus Preto, à qui l’on doit déjà plusieurs albums de Gal Costa et, référence s’il en est, de Tom Zé, chaque chanson, composée entre 1965 et le début des années 80 (fin de la dictature d’alors), est revisitée par de jeunes artistes. Dix voix d’hommes, Gal n’a que faire des quotas.
Seu Jorge sur Juventude Transviada, n’est peut-être pas le plus jeune d’entre eux mais sa voix profonde, portée par des glissements de cordes et de délicates percussions remue jusqu’aux tripes lorsqu’elle rencontre celle, blessée par le temps, de Gal Costa. Un homme, pour parler des tourments des femmes et de la fuite du temps ? Oui, et c’est parfois évident. Pour s’en convaincre un peu plus encore, il faut se laisser emporter par la voix agile, presque jumelle de celle de Caetano Veloso, de Tim Bernardes, preuve vivante d’une nouvelle scène brésilienne en état de grâce. Baby semble avoir été écrit pour lui, jeune homme tout en lyrisme et en délicatesse, débordé presque malgré lui par cette saudade à fleur de peau qui s’épanouissait déjà sur son album solo paru en 2018, Recomençar.

Mais la saudade, nous direz-vous, n’est-elle pas un concept typiquement portugais ? Certes, mais cette nostalgie de ce qui est encore à venir, ce pressentiment de la perte et de l’éternité, faite d’émerveillement et de manque, est au coeur même d’innombrables bossas et autres chansons brésiliennes. Et pour exprimer au mieux cette douce mélancolie, ce tiraillement entre deux états, il fallait des voix aussi belles que fragiles, celles de Rubel, de Zé Ibarra, de Zeca Veloso, des voix qui donnent « une autre idée de la virilité » pour paraphraser le chanteur portugais Antonio Zambujo, qui chante ici en duo avec Gal Costa Pois É de Chico Buarque. Zambujo, que l’on ne présente plus tant son succès est grand chez lui comme au Brésil, tout adoubé qu’il est par Caetano Veloso* lui-même.
Il ne s’agit pas pour autant de bilan sur Nenhuma Dor, ni d’apitoiement sur sa propre finitude, mais plutôt d’une réécriture. Les collaborations s’enchaînent, lumineuses – à quelques bémols près mais il serait dommage de bouder son plaisir – et ouvrent de nouvelles portes d’entrée vers une musique brésilienne qui ne cesse de se réinventer, comme Gal Costa elle-même.
Nenhuma Dor, Gal Costa, sortie le 12 février 2021 sur Biscoito Fino
Avec Rodrigo Amarante, Silva, Criolo, Antonio Zambujo, Zé Ibarra, Seu Jorge, Tim Bernardes, Rubel, Jorge Drexler et Zeca Veloso.
* Caetano Veloso fut si ému lors d’un concert du guitariste et chanteur portugais qu’il dit alors de lui « Je veux l’entendre encore plus profondément. On ne peut pas s’empêcher de frémir et de pleurer. »
Merci mon fils de m’avoir fait connaître Gal j’adore.