Яблонный Сад : Shortparis contre-attaque
Quatrième opus pour les Cinq de Saint-Petersbourg et nouvelle raclée en perspective derrière le rideau de fer sanitaire ; avec Яблонный Сад de Shortparis, la musique venue de l’Est prouve une nouvelle fois qu’une révolution musicale et esthétique est en route. Ne reste plus qu’à espérer que la vieille Europe veuille bien lui emboîter le pas…
Яблонный Сад : littéralement « le verger de pommes ». Impossible de dire si les pommes en question évoque la tentation biblique, un Strawberry Fields « à la Russe » ou un champ de bataille tant les rythmiques utilisées sur de nombreux morceaux, Наше Дело Зрелоь ou Говорит Москва par exemple, suggèrent la colère et la détermination. Machines syncopées et agressives, torsions dissonnantes, batteries enragées – le groupe comprend deux batteurs, Danila Holdokov et Pavel Lesnikov – et voix agile oscillant entre technique lyrique et rage punk, Яблонный Сад s’affirme comme la suite logique de la synth-pop ténèbreuse des deux précédents albums, Пасха et Так Залалялась Сталь.

Et pourtant, bien que toujours aussi inclassables, les expérimentations du groupe gagnent en dimension, autant sur le plan visuel que musical, car « l’expérience » Shortparis se veut une œuvre d’art totale, quitte à ahurir l’auditeur, ou le spectateur, à la manière d’un Sergei Kuriokin avec ses plaisanteries très avant-garde.* Les textes, visiblement opaques, y compris pour les Russophones, évoquent quant à eux la poésie de l’Âge d’argent – figure d’ailleurs sur l’album un titre reprenant un poème d’Ossip Mandelstam (Эта ночь непоправима) –, et son utilisation particulière des symboles. Les paroles valent ainsi autant pour leur musicalité que pour leur signification plus ou moins mystérieuse, signification que le public français ne peut de toutes façons pas percevoir.
Reste l’énergie, contagieuse, et la construction presque chorégraphique de l’album – il commence et se termine par deux variations autour d’un même thème, Золото et Золото II – qui renforce l’impression hypnotique et incite à écouter encore et encore des morceaux qui pris séparemment pourraient pour certains sembler arides. Plus mélodique, parfois presque mélancolique, Яблонный Сад attaque de front mais baisse parfois la garde pour laisser place à une émotion diffuse où rôdent l’angoisse de la mort et la cruauté d’un monde sans amour.
Et c’est ainsi, qu’insensiblement, Яблонный Сад rapproche de l’apothéose** un groupe qui continue d’abolir les genres pour inventer son propre mythe.

*Peu (ou pas) connu chez nous mais célèbre en ex-URSS pour son rôle dans le groupe Aquarium, il affirma sans rire à la télévision que Lénine se gavait de champignons hallucinogènes et avait fini par se transformer lui-même en champi, une démarche à mi-chemin entre Dada et les Monty Pythons en quelque sorte. Est-ce que le public y a cru ? Hum…
**Hasard ou non, la pochette de l’album évoque le célèbre tableau de Vassili Verechtchaguine, « L’Apothéose de la guerre »