Muddy Gurdy, Homecoming : quand l’Auvergne a le blues

Hurdy-gurdy, muddy waters (eaux boueuses)… Le blues a beau être né aux Etats-Unis, le voilà qui s’offre un aller-retour pour les volcans d’Auvergne avec Homecoming, troisième album du trio français Muddy Gurdy. Produit avec encore plus de soin que leur précédent opus – la qualité sonore de l’album est indéniable – Homecoming est un voyage au long cours qui mêle avec habilité les genres et abolit les frontières.

Down In Mississipi chantait J.B Lenoir, ici repris par Tia Gouttebel, chanteuse et guitariste du groupe, et grande connaisseuse de blues. Et voilà qu’un pont mystérieux se tisse entre ces deux régions si éloignées, l’Auvergne et le Mississipi. Mais sont-elles si éloignées ? Un album de reprises de blues joué par des Auvergnats, porté par le son lancinant de la vielle à roue – en anglais « hurdy-gurdy » -, est-ce si surprenant ? Après tout, les bergers, comme les hobos, sont des itinérants, et les voix des bergères* des siècles passés résonnaient autrefois entre les vallées, chant de labeur, de solitude et d’amour, pour être entendus à des kilomètres de là.

Le précédent album de Muddy Gurdy, sorti en 2017, fut le fruit d’un voyage initiatique. Les trois membres du groupe, Tia Gouttebel donc, Gilles Chabenat à la vielle et Marco Glomeau aux percussions, s’aventuraient alors au nord du Mississipi à la rencontre de musiciens américains. Là-bas, aux sources du country blues, ils enregistrent avec des artistes comme Cameron Kimbrough et Cédric Burnside, respectivement petits-fils des grands Junior Kimbrough et R.L Burnside, et finissent d’ailleurs leur tournée avec ce dernier fin 2019.

Muddy Gurdy
Muddy Gurdy

Pour ce nouvel opus, les voilà de retour sur leurs terres natales, le blues collé aux semelles et plus que jamais arrimé à la vielle. Et le voilà, ce blues, pourtant si américain, qui court volcans et prairies comme s’ils ne les avaient jamais quittés. Enregistré un peu partout dans cette belle et sauvage région, trouvant son inspiration dans des lieux solitaires et mystérieux, Homecoming abreuve le blues à l’eau pure des ruisseaux, lui fait chanter la terre où fleurissent les gentianes et où paissent les troupeaux mais n’oublie pas les fruits étranges et vénéneux (le Strange Fruit de Billie Holiday) pendus aux arbres du Mississipi.

Il est tout à fait intéressant de noter, qu’à la manière des représentants du British Blues – The Pretty Things, John Mayall, The Rolling Stones, etc. -, Muddy Gurdy redonne une identité véritablement spécifique au genre. L’exemple le plus frappant étant les titres où intervient le briolage, chant de labour destiné à galvaniser les bœufs et interprété ici par Maxence Latrémolière. Rien de « folklorique » là-dedans, au contraire ; sur Land’s Song et Afro Briolage, les morceaux où intervient cette technique vocale incantatoire et hyptnotique, le blues est transcendé pour mieux mener à la transe.

Les amateurs du genre apprécieront à juste titre les cover versions de standards comme Another Man Down popularisé en son temps par l’extraordinaire Vera Ward Hall, redécouverte par John Lomax, la fraîcheur des arrangements et l’enthousiasme presque magique qui se dégage de l’ensemble. Quant aux novices, à une époque où il n’est plus de voyages qu’immobiles, ils découvriront avec Muddy Gurdy que le blues est avant tout un rythme, un souffle, et que cette respiration, cette ode à la liberté et à l’humanité, tout le monde peut se l’approprier.

*Rassemblés et annotés par le compositeur et musicologue Joseph Canteloube, ils ont été orchestrés pour soprano et orchestre symphonique par ce dernier sous le nom de « Chants d’Auvergne » entre 1923 et 1930