Le Vin de longue vie

Le vin de longue vie est un roman de l’écrivain roumain Nicolae Dumitru Cocea (1880-1949), publié en 1931. Comme le titre le laisse entendre, le texte parle de vin, mais ce vin « de longue vie », enveloppé de mystère, semble cacher une histoire qu’il garde précieusement.

L’écrivain suit tout au long du roman le chemin de deux personnages qui, à première vue n’ont rien en commun : un jeune magistrat qui arrive en poste dans la commune de Cotnari, dans le nord-est de la Roumanie et parallèlement un honorable, mais mystérieux vigneron, Manole qui a toujours suscité la curiosité et la jalousie des villageois de cette bourgade perdue. Les vignes qui font sa fierté l’ont accompagné tout au long de sa vie : « La vigne de Maitre Manole Arcasch, plantée sur la plus haute crête de la province de Cotnari, descendait dans la vallée jusqu’à la Fontaine aux Serfs : longue, rectangulaire, striée, ponctuée et bariolée de toutes les nuances du vert, comme un couvre-pied de Bessarabie… »

Petit à petit, au fur et à mesure de leurs rencontres, les deux hommes qui parlent de poésie, de la beauté de la nature et de la futilité de l’espèce humaine se lient d’amitié. Manole, pour qui la vie n’a plus de secrets prône auprès du jeune juge les vertus de la passion et le bonheur simple de vivre chaque instant avec intensité. Les secrets de sa joie de vivre passent par la contemplation, par la force des souvenirs et aussi par le plaisir de déguster son vin. Il fait de son jeune admirateur son confident et finit par l’inviter un soir chez lui, ce qui représente le privilège absolu : « Nous heurtâmes notre premier verre de Cotnar rouge qui coula dans mes veines comme du vif-argent. Nous nous assîmes à la table éclatante de blancheur (…) et nous dînâmes avec une frugale simplicité… »

A la fin du repas, le serviteur du boyard épicurien apporte à table « avec une crainte révérencieuse (…) dans une corbeille inclinée, un flacon dont l’intérieur était couleur rouille et l’extérieur revêtu d’une chape de sable durci. Le boyard, de sa propre main et avec une attention infinie, le déboucha (…). Je sentais, à travers le parfum accoutumé de lavandes et des vieilles choses de la maison, s’élever une fragrance plus subtile, plus insinuante, irritante et lascive. Je regardai autour de moi, tout étonné (…) Dans le verre, ce n’était pas du vin, mais de l’ambre. Des ondes cramoisies, phosphorescentes dansaient en irisations infinies dans la masse compacte de ce vin qui avait presque la consistance de l’huile… »

Vin Roumain Grasa de Cotnari
Grasa de Cotnari

– « C’est mon Cotnari de longue vie. Je vais te raconter son histoire », dit Manole qui dans une ultime et électrisante séquence de sincérité dévoile à son nouvel ami les moments les plus intenses et en même temps les plus dramatiques de sa jeunesse – l’amour fou pour une jeune tzigane et la mort de celle-ci dans des conditions mystérieuses.

La lecture de cette belle fable initiatique et hédoniste m’a incité à regoûter ce blanc roumain, DOC (dénomination d’origine contrôlée) Grasa de Cotnari. Ce vin est cultivé depuis le 15ème siècle en Moldavie roumaine, dans le département de Iasi. Notons que la Roumanie est une véritable destination œnologique car elle compte quantités de terroirs et de cépages. Les vignobles sont disséminés sur tout le territoire qui bénéficie d’un climat idéal et d’une excellente latitude.

Si cette région de Cotnari produit du rouge, c’est le blanc demi-doux qui en fait sa renommée. Il est assez corsé et a des reflets allant du jaune-vert dans sa jeunesse aux teintes dorées avec les années. Des arômes équilibrés d’amande et de pêche, ainsi qu’une pointe d’acidité donnent à ce vin une belle finesse et un goût rassurant. Il est chaleureux, généreux sans être oppressant. Il sera le partenaire solide d’un crumble, d’une tarte tatin, d’un apéritif ou un compagnon de foie gras astucieux.

Ce vin de belle composition, présente de plus un bon rapport qualité-prix, autour de 7 euros la bouteille et on le trouve aisément dans les épiceries roumaines.

Enfin, pour se plonger dans la lecture de ce « Vin de longue vie », tout en dégustant un verre de Grasa de Cotnari, rien de tel que la poésie musicale de Goran Bregovic dans le film « Le temps des gitans » d’Emir Kusturica, avec ce sublime morceau Ederlezi.

Bonne dégustation littéraire !

Le Vin de longue vie de N.D. Cocea
Editions Cambourakis, 2012