Lankum & The Hack-Poet Guild : le folk n’est plus ce qu’il était (et c’est tant mieux)

Notre monde est brumeux, c’est une évidence. Et de cet état d’instabilité, nous revient l’envie de célébrer les mystères. Grands prêtres, et prêtresses, de ces rites sombres et purificatoires, deux groupes « folk », l’un irlandais et l’autre britannique, Lankum et The Hack Poet Guild, nous les révèlent en ce printemps 2023.

Lankum – False Lankum : les Mânes d’Eirinn

D’après le groupe lui-même, le nom de Lamkum viendrait d’une chanson traditionnelle irlandaise évoquant un « vilain » au sens hargneux du terme. Il faut pourtant bien constater que les membres de cette formation, qui n’en n’est pas à son premier coup d’essai, n’ont rien de tire-laines, ou alors seulement pour les besoins de leur dernier clip où ce sont plutôt les Parques qui jouent de la pelote.

Bien qu’à peu près inconnu chez nous, Lankum, fondé par les frères Lynch, Ian et Daragh, Cormac MacDiarmada et la chanteuse Radie Peat, voit le jour il y a bientôt 10 ans. Récompensé par de nombreux Awards, en Irlande comme en Grande-Bretagne, le groupe connaît la consécration en 2019 avec l’album The Livelong Day. Or, chez Lankum, ce n’est pas tant la composition qui compte, on est ici en terrain connu, celui du folk irlandais, que l’intention.

Certes, False Lankum, leur très homogène nouvel album, porté par l’utilisation lancinante du bourdon et la multiplicité des instruments (banjo, fiddle, harmonium, concertina et percussions…), confirme leur maîtrise des arrangements. Bien sûr, la voix, étrange et volontiers nasillarde, de Radie Peat, envoûte. Oui, parfois, on pense aux Pogues à leur grande époque, lorsqu’ils laissaient s’échapper leurs Wild Cats of Kilkenny, ou à Nick Cave, un peu, quand il espérait le retour de The Carny. Pourtant, le caractère indéfinissable de Lankum réside ailleurs.

Lankum - © Ellius Grace
Lankum – © Ellius Grace

Aussi inquiétantes qu’une nuit sans lune près d’une falaise battue par l’océan, au détour d’un titre et sans sommation, elles surgissent. Invisibles à nos yeux mortels, les voici qui se glissent un peu partout dans l’album. Dans un morceau en apparence très traditionnel (Master Crowley’s), sur le terrifiant The New York Trader, légende immémoriale venue des « Jonah Ballads », ou dans le chaos final de The Turn, morceau de clôture et de bravoure – 12 minutes, tout de même -, les voilà ces porteuses de mauvaises nouvelles, ces visages blêmes : les Banshees.

Réelles ou non, elles le crient haut et fort : Lankum est un groupe habité. Aussi âpre et hypnotique que le folk irlandais lui-même, False Lankum risque bien de nous réconcilier avec lui.

Lankum – False Lankum  (Rough Trade) – Sortie le 24 mars 2023

The Hack-Poet Guild – Blackletter Garland : les Prométhées modernes

Si les noms de Marry Waterson, Lisa Knapp et Nathaniel Mann ne vous disent rien, c’est probablement parce que vous ne vous intéressez pas plus que ça à la musique folk, ou que vous êtes français, la deuxième option étant la plus probable.

Nathaniel Mann, ancien membre du Dead Rat Orchestra (pas de rongeurs là-dedans mais du folk expérimental mâtiné d’incantations Shakespeariennes comme sur le sublime Bonnie Sweet Robin Is to the Greenwood Gone), Lisa Knapp, acclamée Outre-Manche pour ses albums solos et ses nombreuses collaborations, et Marry Waterson, enfant prodige du folk (sa première collaboration discographique date de 1977 alors qu’elle n’avait que… douze ans !) nous livrent ici un concept album peuplé de spectres et tout frissonnant de visions. Douze morceaux, trois voix, trois personnalités musicales et autant de fantômes à libérer : le résultat n’en n’est que plus envoûtant.

Hack Poet's Guild
Hack Poet’s Guild

Parfois éthéré et contemplatif, comme sur les fragiles Birds of Harmony ou Cruel Mother qui ne sont pas sans évoquer les délicates rêveries de Stina Nordestein ou de Joanna Newsom, ou amoureusement mélancolique (Rare Receipts, Be Kind To Each Other), Blackletter Garland n’est jamais aussi puissant que lorsqu’il s’écarte, poing levé, des sentiers battus du genre. Il nous plonge alors, à grands coups de rythmiques lancinantes un rien trip-hop (Ten Tongues, Something To Love Me), ou de chevauchées fantasmatiques grinçantes comme un morceau du Velvet (The Cruelty of The Devil, Daring Highwayman, Hemp&Flax), dans un délicieux cauchemar gothique dont l’on ne peut, ni ne veut, se réveiller.

Et si, bien contre votre gré, vos yeux finissaient par s’ouvrir, il ne vous restera plus, pour lutter contre The Troubles of This World, que de vous enivrer, encore et encore, de ce filtre d’amour et de mort à nul autre pareil.

The Hack-Poet Guild – Blackletter Garland (One Little Independant Records)  – Sortie le 10 mars 2023