Moonage Daydream de Brett Morgen : voyage immersif au coeur du mystère David Bowie

« I’m a DJ, I’m what I play », ce titre de l’album Lodger (1979) résume à merveille le film de Brett Morgen consacré à David Bowie, Moonage Daydream. Véritable kaleïdoscope d’images et de sons – illustration littérale de Sound and Vision et voyage intersidéral au coeur de la galaxie Bowie -, Moonage Daydream tient plus du trip hallucinogène que du documentaire à proprement parler.

Basé sur un fond d’archives impressionnant, mélant constamment des captations (rares et superbement restaurées) de concerts, des vidéos clips, des interviews, filmées ou non, des extraits de films ou d’actualités, cette « rêverie éveillée » ne tente qu’à moitié de résoudre le grand mystère qu’a été, et qu’est encore, le personnage Bowie. Le personnage ? Non, les personnages. Et pas seulement ceux qu’il a créé d’un point de vue strictement artistique, Major Tom, Ziggy Stardust, Halloween Jack, The Thin White Duke et tant d’autres, mais tout ceux qu’il n’a cessé d’endosser tout au long de sa vie et de sa carrière, avec ou sans maquillage.

D’ailleurs Bowie le dit lui-même, les seules choses qu’il maîtrise et qui l’inspirent sont le chaos, la fragmentation. Son moi, source essentielle de sa créativité, même s’il ne cesse d’absorber le monde et l’époque qui l’entourent, ne déroge pas à la règle. Se transformant et se multipliant à l’infini pour finalement se dépersonnaliser au point de se dissoudre en une sorte de principe divin – dieux du panthéon ou dieux du rock’n roll, après tout, c’est un peu la même chose non ? – il s’approche du principe fondateur de toute chose : l’énergie pure.

Toujours en mouvement, accro à l’inconfort et au malaise, David Bowie ne cessera de créer, même lorsqu’il se hasarde à se mettre à la même hauteur que son public dans les années 80, ce qui lui vaudra le succès commercial que l’on sait. On le découvre tour à tour acteur, peintre, vidéaste, poète, danseur (extraordinaire) mais toujours par ce système de collage tourbillonnant qui tient plus du message subliminal que de l’information pure.

Pourtant, Brett Morgan suit malgré tout une chronologie, même si elle est travaillée par répétions et surimpressions, qui s’arrête, plus ou moins au moment où David Bowie redevient presque humain et met un terme relatif à sa carrière, un point d’arrêt qui correspond avec sa rencontre avec Iman, sa future femme. Le traitement de cette histoire d’amour, point d’ancrage et de stabilité, soudain classique et presque mièvre, est peut-être d’ailleurs le seul bémol de cette expérience hautement psychédélique.

Mais qu’est-ce que quelques minutes au milieu de ces deux heures d’expérience immersive hors norme à regarder de préférence au cinéma, incroyable prouesse de montage toute en puissance sonore (certains trouveront peut-être cela excessif) ? Arrivé à son point final, la mort de l’artiste, le film, lorgnant vers « 2001 l’Odyssée de l’espace », l’un des films préférés de Bowie, revient en quelque sorte à son point de départ. « Je meurs, vous mourrez, seconde après seconde, tout est transitoire » explique tranquillement Bowie. David Bowie, l’artiste, est une preuve irréfutable du grand mystère de la création, avec ou sans majuscule, mystère qui nous dépasse mais sans lequel nous ne pourrions être.

Moonage Daydream  Soundtrack – Warner
Version digitale – Sortie le 21/09/2022
Version 2 CD – Sortie le 18/11/2022
Coffret 3LP – Sortie courant 2023