Thomas Schoeffler Jr : One Man Interview

C’est à Binic, lors de la très échevelée édition 2017 que nous avons rencontré Thomas Schoeffler, vrai bluesman made in Strasbourg et One Man Band devant l’Éternel. Aussi simple et chaleureux que sa musique peut sembler âpre et rugueuse, Thomas Schoeffler Jr (Jr, c’est important !), n’a pas été avare en confidences. Une interview pour chasser le blues, à lire en simultané et en tapant du pied.

HdO : Thomas Schoeffler Jr, Jr pour ?

Thomas Schoeffler Jr (sourire) : Junior, pour faire américain ! Juste parce que je m’appelle Thomas Schoeffler et que quand il a s’agit de faire mon premier concert tout seul, je ne voulais pas changer de nom ni prendre de pseudo. Johnny Hallyday, c’était déjà pris, Dick Rivers aussi, alors je me suis dit : « comme je ne suis plus tout jeune, je rajoute Junior, et ça fait genre. »

HdO : Tu dis n’être « plus tout jeune » mais si je compte bien, tu n’en n’es qu’à ton 3ème album. D’ailleurs, j‘avoue connaître surtout The Hunter, ton dernier opus, et Jesus Shot Me Down, le précédent. Ton premier album, Daddy’s Not Going Home, est sorti, me semble t-il, de manière beaucoup plus confidentielle.

Thomas Schoeffler Jr : Oui, finalement, Daddy’s Not Going Home, c’est l’album qui m’a permis de démarcher les bars autour de chez moi, qui m’a un petit peu servi à essayer d’accrocher un label ou un tourneur sur mon projet. ça remonte maintenant à… 2011, ou 2012, je ne sais plus très bien. Je l’avais effectivement auto-produit et il en est sorti à peu d’exemplaires mais je continue à le vendre de temps en temps.

HdO : Comme à Binic, qui est aussi l’occasion de découvrir labels et artistes indépendants ?

Thomas Schoeffler Jr : Malheureusement non, je suis en rupture de stock et je suis en train d’en refaire presser. J’étais venu à Binic la première année avec cet album et, chose surprenante, j’avais réussi à bien l’écouler. Puis, je suis venu deux fois d’affilée, et me revoilà, pour cette édition 2017.

HdO : Avant 2012, ce premier album et ce « premier Binic », que faisais-tu musicalement ?

Thomas Schoeffler Jr : J’ai mis un peu, beaucoup, de temps…. Attention, on ne peut pas non plus parler de « grand désert musical » puisque tout ça m’a permis d’élaborer ce One Man Band avec lequel je travaille aujourd’hui, mais c’était… différent. J’avais un groupe de grunge, de rock, enfin un truc comme ça, vers la vingtaine. Tu sais, trois quatre accords en barré, les cheveux longs, et puis voilà…

HdO : On a du mal à l’imaginer !

Thomas Schoeffler Jr : Pourtant c’est vrai !

HdO : Il te reste la chemise à carreaux, remarque.

Thomas Schoeffler Jr : Hé hé, oui ! J’avais un vingtaine d’années, ce projet avec des potes et comme souvent, le groupe s’est séparé. Chacun est parti faire ce qu’il avait à faire et moi, je me suis retrouvé là, avec cette envie, vers 25, 30 ans, de faire de la country, du blues, des choses comme ça. Je ne trouvais pas grand monde pour le faire avec moi et puis, j’ai découvert l’univers des One Man Band avec Scott H Biram* en tête, un Texan, qui est pour moi le meilleur du genre au monde. Tous les bluesmen, d’ailleurs, quand on y pense, sont en quelque sorte des One Man Band ; quand ils tapent du pied sur le plancher après tout, on est déjà dans cet esprit-là. Je me suis également rendu compte que cette musique supportait très bien le dénuement et qu’il avait peut-être été, personnellement, important pour moi de passer par ces dix années d’apprentissage. Au début, je ne savais vraiment faire que quatre accords…

HdO : Pas possible, je ne te crois pas !

Thomas Schoeffler Jr : Mais si, car l’avantage finalement quand tu fais du grunge, du punk, ou des choses comme ça, c’est que sans être un technicien accompli, tu peux faire plein de trucs sympas, et c’est ce qui me plaisait dans la musique. Je n’ai jamais considéré qu’il fallait être technicien avant d’être artiste. Au contraire, j’ai toujours pensé que la technique devait se mettre au service des compos. Mes premiers morceaux étaient d’ailleurs assez simplistes et puis avec le temps, on évolue. Avant Daddy’s Not Going Home, il y a eu toutes ces années tout seul chez moi à essayer de grattouiller, d’assumer ce côté un peu country, ce qui n’était pas forcément simple à l’époque. On ne peut pas dire que ça avait franchement le vent en poupe il y a 10 ans…

HdO : Ah ça, pas du tout ! Et ce côté country, il t’est venu par admiration pour un musicien en particulier, ou ça a toujours fait partie de ton univers un peu sombre, un peu à vif ? En effet, sur www.horsdoeuvre.fr, il nous est venu à l’idée, en faisant la playlist Eastern Stories, qu’il y avait quelque chose de commun entre le mythe du Wild West et la scène musicale de ce Wild East français souvent injustement méconnu…

Thomas Schoeffler Jr : Un peu des deux, c’est très judicieux comme remarque ! Tout d’abord, c’est très personnel ; mon père écoutait beaucoup de musique western, il était fan des films du genre. L’harmonica, Hank Williams, Ennio Morricone, j’ai baigné dans cet univers musical, même Richard Anthony…

HdO : Et j’entends siffler le train ?

Thomas Schoeffler Jr : Mais oui ! C’est le tout premier morceau que j’ai appris à la guitare, avec le pouce sur une corde. Donc oui, il y tout ça d’un côté, et effectivement, à Strasbourg notamment – car je ne connais pas tous les artistes d’Alsace ou de Lorraine -, on se sent un peu éloigné, et il y a pas mal de groupes qui aiment revisiter cette vieille musique américaine. Que ce soit Dirty Deep, par exemple, et son blues garage à la Left Lane Cruiser (qui sont d’ailleurs passés à Binic il n’y a pas si longtemps), ou les Bad Juice, un duo fortement influencé par Bo Diddley qui revisite le vieux rock à la sauce d’aujourd’hui, on est quand même pas mal à s’approprier cette musique américaine et à la passer à la moulinette de nos influences, plus grunge ou plus rock pour les uns, plus punk pour les autres. Ce qui donne une scène locale strasbourgeoise très intéressante avec beaucoup d’émulsion… Ah, Ah !

HdO : D’émulation ?

Thomas Schoeffler Jr (rires) : Oui, bien sûr ! Mais d’émulsion aussi ! On est vraiment contents de voir ce que font les autres, on essaye de se tirer respectivement vers le haut, et c’est vrai que c’est dommage qu’il n’y ait au final pas d coup de projecteur sur cette scène alsacienne, ou disons de l’Est, car à mon sens, et sans être chauvin du tout, elle est vraiment hyper intéressante.

HdO : Et au cœur de tout ça, être un One Man Band pour toi, c’est une vraie démarche ou une manière de jouer qui a pu s’avérer au début, disons… économique ?

Thomas Schoeffler Jr : Ah non, c’est une vraie démarche ! Tu sais, ce n’est pas toujours évident, quand tu as fait partie d’un groupe qui se pète la gueule – plus tard, on en comprend les raisons -, et que tu as essayé de faire partie d’un collectif, d’enchaîner derrière. Ce n’est peut-être pas pour rien que j’ai découvert l’univers des One Man Band à ce moment-là. Et surtout, j’ai toujours pensé que les contraintes étaient très intéressantes : n’avoir pas grand-chose à sa disposition et essayer de développer un maximum d’effets change vraiment la donne. Je ne compose pas du tout de la même manière avec un groupe que pour moi seul ; la manière de travailler en tant que One Man Band me convient super bien. Peu de moyens et faire un maximum : j’aime ça.

HdO : Sur scène, tu dégages du coup une énergie très particulière, différente en tout cas…

Thomas Schoeffler Jr : Oui, parce que je suis assis, tout seul au milieu de la scène – je ne me lève jamais – et qu’il faut quand même embarquer les gens. De nouveau, on se retrouve avec pas grand-chose : une guitare, un harmonica, deux boîtes sous les pieds et le chant. Il faut réussir à agencer tout ça pour créer progressivement un impact ; ne pas démarrer trop vite au début de la chanson pour se retrouver ensuite en plateau pendant 4 minutes au top de l’intensité. Il faut être capable de redescendre, repartir, jongler avec tous ces éléments : c’est là où réside toute la difficulté de l’exercice et c’est ce qui en fait aussi l’intérêt.

HdO : Sur ton dernier album, The Hunter, on sent sur plusieurs morceaux monter cette énergie, qui semble, dis-moi si je me trompe, de plus en plus sombre. Tu voulais apprivoiser, ou chasser, les idées noires ?

Thomas Schoeffler Jr : Un peu des deux ! A l’époque où j’ai commencé à composer The Hunter, je sortais d’une rupture ; forcément, on met plus de soi dans ce genre de disque. Paradoxalement, j’interprète maintenant les morceaux de The Hunter alors que je suis à nouveau avec quelqu’un, que tout va très bien et que ma vie n’a finalement jamais été aussi cool. Parfois, c’est cathartique la musique, tu as juste besoin d’évacuer ces zones sombres pour qu’elles ne te pourrissent pas la vie. Et comme disait Scott H. Biram, dont je te parlais tout à l’heure et que j’aime tant, le blues – ou la country – c’est finalement se réjouir ensemble de nos malheurs. L’idée de cette musique là, c’est de se dire que tous ensemble, que l’on soit sur scène ou devant, on a tous connu une rupture, ou des journées difficiles au boulot, de ces moment où on se dit « la société, tout ça, ce n’est pas pour moi ». Alors, même si on ne comprend pas la langue, avec l’émotion du chant et l’intensité du rythme, on tape du pied et on pose pour quelques heures son fardeau à terre. Et mon boulot à moi, enfin je crois, c’est d’être une sorte de paratonnerre, un vecteur de solidarité ; si on s’est tous défoulés ensemble, alors c’est bien, ma mission est accomplie.

HdO : Mais tu viens de nous résumer l’esprit Binic !

Thomas Schoeffler Jr : Sans doute, puisque le principe de Binic, c’est de s’amuser ensemble. Rockers, familles en vacances, habitants du coin, on est tous là pour fraterniser autour de la musique et ça va bien se passer ! Car quand les choses sont bien faites, qu’elles sont gratuites, et qu’on te propose une belle programmation, avec plein de découvertes – pour ma part, j’en fais chaque année – on repart forcément d’ici bien mieux que lorsqu’on est arrivé.

HdO : Avant de se quitter, peux-tu nous dire quels ont été tes coups de cœur de l’édition 2017 ?

Thomas Schoeffler Jr : Du peu que j’ai écouté, celle qui m’a incroyablement scotché, c’est Cash Savage. Il faut les voir absolument, elle et son groupe : c’est un univers qui me parle énormément, avec un côté dark et rock à la Nick Cave. Je l’ai vu deux soirs de suite et à ça a été une claque à chaque fois, je suis fan ! Moi qui écoute un peu toujours la même chose finalement, je vais la suivre partout et acheter tous ses disques ! (rires)

*Note de la rédaction : Scott H Biram n’est pas plus un vieux briscard qu’un bluesman reparti, coeur brisé et whisky en bandoulière, creuser sa tombe à la croisée des chemins, mais bien un band à lui tout seul, né en 1974 à Austin, Texas. Accessoirement, Mr Biram est un ancien punk.