Irving Worm, éloge de l’informe

« Les plaisanteries les plus courtes sont toujours les meilleures », voilà comment l’on pourrait tenter de définir l’oeuvre d’Irving Worm.

Enfant studieux, élevé dans une banlieue dortoire de Cologne, le petit Irving connaît une première révélation à l’âge de 7 ans lorsque qu’il déchiffre laborieusement la composition d’un paquet de Kaba « Der Plantagentrank » (une poudre chocolatée à faire fondre dans du lait), tâche difficile mais exaltante. Ebloui par son propre génie, il invente alors le concept du « gesunde Kraft der Natur » qu’il exprime avec fougue en urinant dans le caoutchouc décoratif placé dans l’entrée de la maison familiale, acte fondateur puissant qui lui vaudra 3 semaines d’interdiction de sortie et la certitude d’avoir trouvé sa vocation : il sera artiste conceptuel.

Après des études réussies en littérature comparée, photographie minimaliste – à laquelle il apportera une sorte de point d’orgue en n’appuyant jamais sur le déclencheur et en imprimant une série de 200 tirages – et en psychologie cognitive, Irving Worm publie une thèse éblouissante sur Francisco de Quevedo intitulée « Transcendance de la pâte de coing dans Heurs & Malheurs du trou du cul », ce qui lui vaudra d’être bombardé professeur émérite de sculpture polyvalente à l’école des Beaux-Arts de Faden-Faden.

« Bouillie », ou « De la régurgitation – Offense à Salvador Dali »
1992 – ©Irving Worm – Galerie LAxckSatif – Berlin-en-Paumagne – TDVR*

Car, comme son œuvre n’en témoigne pas, Irving Worm est sculpteur. Remettant férocement en cause les 3 dimensions chères à Rodin ou Michel-Ange, il opte dès 1992 pour un concept déjà éprouvé depuis environ un demi siècle, celui de se réclamer de la forme d’art dont on se sent le plus éloigné, tentative courageuse de se confronter à ses propres incapacités. Sa première réalisation, « Bouillie », emprunte ainsi aussi bien aux formes molles de Dali qu’à certaines régurgitations post-Warholiennes dues à une surconsommation de lait maternisé – peut-être plus à ces dernières d’ailleurs -, bouleverse.

« Le Cri du coeur – Fond de placard sans intérêt »
2002 – ©Irving Worm – Collection Privée – Chartres-en-Besogne – TDVR*

Tête de file du mouvement Statisch, Irving Worm fréquente assidument l’establishment et les soirées mondaines dans un but de dénonciation des inégalités sociales et épouse un mannequin de 35 ans sa cadette afin de fustiger le sexisme ordinaire. C’est d’ailleurs avec ce même humour noir qui le caractérise qu’il conçoit une ligne de vêtements dits « inutiles » accompagnés de notules d’une rare profondeur philosophique, « Do Not Bleech », « Dry Clean Only » ou « Made In Bengladesh » qui reste, et à juste titre, l’une de ses œuvres les plus côtées. Néanmoins, il serait légitime de lui préférer « A Dada »1, un ballon gonflé à l’hélium en forme de licorne, récemment offert par François Pinot à la mairie de Foirzy, en Bourgogne Franche-Comté, pour décorer la salle des fêtes.

« 2ème cerveau Part 1 » (issu du triptyque « La Foire du Trône »)
1997 – ©Irving Worm – Galerie Midden – New-Fork – TDVR*

Plus émouvant encore, son site Internet, concept génial, consiste en une page blanche où est écrit « 403 forbidden – You don’t have permission to access to this server », une manière de dénoncer la relativité de l’information sur le web à moins qu’il ne s’agisse, comme le souligne quelques confrères probablement mus par la jalousie, d’une erreur technique. Mais là encore, la persistance de la malfonction souligne la puissance de l’artiste et, n’ayons pas peur des mots, la pertinence d’une œuvre toujours en adéquation avec son époque.

Docteur Pamela Sharp

1 – « A Dada » est la seule œuvre d’art dite « manufacturée » à avoir atteint la somme remarquable de 8 millions de dollars à Prouhot en 2017.

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