Swann Arlaud, l’interview

On ne présente plus le comédien Swann Arlaud.

Engagé depuis 2023 dans l’association CUT (Cinéma uni pour la transition), il est le parrain du festival Atmosphères 2024, organisé à Courbevoie du 9 au 13 octobre, pour alerter sur les enjeux environnementaux. Thématique de cette 14e édition : la mer…

Lors de la soirée d’inauguration, nous avons eu le plaisir de rencontrer Swann Arlaud. L’occasion de revenir sur son engagement écologique, mais aussi sur la politique, le bien commun et… les perruches.

HdO : Pouvez-vous nous parler de votre engagement au sein du collectif CUT ?

Swann Arlaud : CUT, qui est maintenant une association, est assez jeune ; elle a un peu plus d’un an. Jérémie Rénier* a eu une prise de conscience écologique et en est à l’initiative. Il a réuni plusieurs personnes issues de différents métiers du cinéma, en se disant : « Qu’est-ce qu’on pourrait faire, nous, comment est-ce qu’on pourrait penser la fabrication, la distribution, repenser notre métier pour réduire un peu notre empreinte ? »

D’abord, on s’est dit qu’on allait mettre en place une plate-forme sur Internet rassemblant toutes les initiatives existantes, en lien avec notre métier. Il y a des prods écolo, plein de choses existent déjà… Il s’agit donc d’une plate-forme sur laquelle on a réuni ce qui existe déjà.

Ensuite, on a un suivi sur la question des nouveaux récits : on peut accompagner des scénaristes, proposer des formations, des résidences, etc. Accompagner également des films réalisés, en réfléchissant à la façon de leur donner de la visibilité, aller dans les lycées… Ces choses existent déjà, mais l’idée est d’apporter une pierre supplémentaire.

On se pose aussi des questions autour de la distribution, en contact avec des exploitants, pour réduire l’empreinte dans les cinémas, voir à quel endroit il y a des manques. À titre d’exemple – j’en parle parce que c’est un peu plus ma partie -, il existait des chartes pour les techniciens, pour les réalisateurs, mais il n’y avait rien pour les acteurs et les actrices. On a donc écrit une sorte de guide, allant des transports, aux repas, en passant par les logements… tout ce sur quoi on pourrait avoir des leviers d’action.

Par exemple, pour les transports, on a mis « aller à Cannes en voiture, en train, en avion, en jet », avec des chiffres sur la différence d’impact. C’est très parlant, parce que c’est chiffré… Oui, certains y vont en jet (rires). Autre exemple : s’il y avait deux repas végétariens par semaine, quelle serait la réduction d’impact ?

HdO : Ce sont des actions très concrètes…

SA : Oui, c’est très concret, mais en fait c’est un outil, ce n’est pas une charte. On ne demande pas aux gens de signer, en marginalisant ceux qui ne le font pas.

Bientôt d’ailleurs, on a un rendez-vous avec les agents, des acteurs, pour discuter de la manière de rendre cet outil utile, de toucher tous les gens concernés pour qu’ils sachent qu’il existe.

On s’interroge sur la façon d’intégrer certaines choses au contrat. Sur certains films, les productions pourraient faire des propositions : « On bosse avec cet outil. Sur quoi êtes-vous prêts à faire des efforts ? Êtes-vous prêts à faire du covoiturage ? Êtes-vous prêts à venir en métro si on tourne à Paris ? » Évidemment, on peut imaginer que des stars ne puissent pas prendre le métro. L’idée n’est pas de culpabiliser qui que ce soit, mais de dire : « On a un outil. Et vous, à quel endroit vous êtes prêts à faire des efforts ? »

HdO : Pour l’instant, le milieu réagit bien ?

SA : C’est tout jeune, on essaie de se faire connaître… Le milieu réagit bien, mais certains ne nous connaissent pas du tout. Ça passe par la communication : on a plusieurs idées comme celle, notamment, de faire une grande fête (rires), d’inviter tout le monde, d’avoir un petit parcours sensoriel pour accéder à la fête, qui donnerait lieu à des discussions…

C’est le début. Je ne sais pas si c’est révolutionnaire, enfin certainement pas, mais en tout cas c’est toujours l’idée de se dire « On essaye ». Et puis c’est toujours intéressant de se remettre en question de soi-même, de se demander à quel endroit ça déconne et ce qu’on peut faire, nous, plutôt que d’aller faire la leçon et d’expliquer aux autres ce qu’ils pourraient faire mieux.

HdO : Quels sont ces nouveaux récits dont vous nous parliez tout à l’heure ?

SA : C’est peut-être un peu naïf, mais la force du cinéma, même si on a bien vu qu’il ne changeait pas le monde, oui, sa grande force, c’est l’émotion, la manière dont il peut faire ressentir des choses à des gens. Par exemple, l’American Way of Life a été portée par un certain cinéma et a inondé le monde. Cette réflexion revient à se demander quel monde on aimerait voir advenir. Les nouveaux récits se fondent peut-être sur des rapports hommes-femmes différents, sur des rapports à la nature différents, etc.

Je vais donner un exemple un peu bateau : des gens qui n’ont jamais vu de gens d’origine africaine vont voir un film sur une famille qui va devoir traverser la Méditerranée. Ils vont se dire : « Ah ouais, mais ces gens, ils ont des enfants, ils sont sur le bateau », etc. Ils vont le ressentir et d’un coup, ça va leur permettre, peut-être, de les considérer. Les nouveaux récits, c’est simplement, à travers la fiction, accompagner des modes de pensée qui sont eux-mêmes en train d’évoluer, qui sont en train de changer. Mais c’est simplement que tout ça change dans un rythme normal et que là, on a besoin d’un rythme accéléré.

Swann ARLAUD - Festival Atmospheres ©.Josué Pichot

Swann ARLAUD – Festival Atmospheres ©.Josué Pichot

HdO : Ces nouveaux récits s’articulent entre le cinéma comme représentation du réel, et les documentaires ? Dans le cadre du festival, par exemple, beaucoup de documentaires vont être projetés. Est-ce que pour vous, c’est complémentaire ?

SA : Bien sûr, c’est complémentaire. Après, je ne sais pas si on peut appeler les documentaires, des « nouveaux récits », je n’en sais rien. En tout cas, ce sont des choses qui donnent à voir. Et il est évident que ça participe à la prise de conscience.

HdO : Dans le manifeste de CUT, il y a l’idée de mobilisation générale, de prise de conscience commune, avec une question. : « En ces temps critiques pour l’humanité, à quoi servons-nous vraiment ? »  Dans vos films, on sent un sens du collectif, peut-être une recherche du juste exprimée sans gravité, sans grandiloquence. Serait-ce ça, « servir vraiment » ?

SA : C’est une grande question. Je ne sais pas exactement. Je ne sais pas si c’est vraiment une recherche du juste. En tout cas, c’est simplement, à un moment, se poser des questions, presque même de manière un peu égoïste : « Est-ce que vraiment, moi je continue, avec des œillères, à avancer, à faire mon métier ? Ou bien comment apporter une petite pierre à l’édifice ? »  Je ne sais pas si je suis en train de vraiment répondre à la question…

HdO : Oui, en même temps elle était très large, parce qu’il y avait la question de servir, de l’art.

SA : Oui, à quoi on sert ? Je ne sais pas très bien à quoi on sert. En tant que comédien, la question de servir et de l’art, ça se rencontre, mais ça ne se rencontre pas de manière volontaire, ça se rencontre de manière émotive, par des choix de films de manière très intuitive. Des choses nous touchent plus ou moins, et il se trouve assez souvent que les sujets qui me touchent, ce sont des sujets de société. Pour autant, je n’ai pas du tout décidé d’être un acteur engagé principalement dans cette voie-là.

Après, quand on commence à avoir un peu de notoriété, on nous donne la parole. Ça, c’est une question vaste aussi : que faire de cette parole ? On peut essayer de la prendre un peu plus que pour soi-même, un peu pour le commun. Si on a un rôle à jouer, à mon avis, il est minime, mais peu importe. En fait, je dirais presque que c’est pour la beauté du geste. Ne rien faire du tout, on sait que ça ne servira à rien… Donc je ne suis pas sûr qu’on soit très utile, mais autant essayer, du mieux qu’on peut, de participer un peu.

HdO : Vous avez eu votre gros engagement au moment de la dissolution pour le Nouveau Front populaire. Est-ce que là, aujourd’hui, on peut encore vouloir agir pour le bien public en agissant en politique, au sens strict ?

SA : La séquence politique est quand même absolument… En fait, les politiques, je n’y crois plus depuis très longtemps. Après, on sait bien que si on veut que les choses bougent et avancent, ça passe par la décision publique, ceux qui nous gouvernent, ceux qui ont le pouvoir.

Moi, je n’ai jamais agi en politique. Encore une fois, ça rejoint cette histoire de la parole. On me donne la parole, je la prends de temps en temps, en me disant qu’elle faut qu’elle serve un minimum à quelque chose. Au fond, je n’y crois pas du tout. Je suis totalement désespéré. Mais bon, en même temps… En même temps, il faut essayer.

Là, on est à un moment de notre histoire quand même extrêmement compliqué. Il n’y a pas de vrai sursaut révolutionnaire dans la rue. Là, sincèrement, je ne sais pas ce qui va nous arriver. Je pense qu’on est tous totalement perdus, là.

HdO : Pour finir, malgré tout, sur une note plus légère, on se devait, Swann, de vous proposer le questionnaire de Proust. Il y a 34 questions, vous choisissez un nombre entre 1 et 34…

SA : Alors, 7.

HdO : Question 7, « Ce que j’apprécie le plus chez mes amis » ?

SA : L’honnêteté et… la fidélité (rires).

Le Garçon et le Héron - Hayao Miyazaki

Le Garçon et le Héron – Hayao Miyazaki

HdO : C’est vrai que c’est mieux d’avoir des amis sympas (rires). On prend une dernière question au hasard. La 15, « L’oiseau que je préfère » ?

SA : Je ne sais pas, je n’ai pas d’oiseau préféré, mais il y a des oiseaux… Je ne sais même pas ce que c’est. Il y a des oiseaux verts à Paris, mais d’un vert clair.

HdO : Les perruches ? 

SA : Les perruches, voilà. Et c’est vraiment très étonnant. De temps en temps, j’en vois depuis ma fenêtre. Il y a beaucoup de corneilles. Et d’un coup, il y a deux perruches qui sont là. J’aime bien les corneilles, mais simplement parce qu’elles m’accompagnent dans le ciel parisien. C’est toujours bien de voir des oiseaux.

HdO : Et la perruche est symbole du réchauffement climatique. Pour ceux qui ont vu le dernier Miyazaki, Le Garçon et le Héron, des perruches deviennent cannibales. Donc c’était pas hyper léger, en fait (rires).

SA : Voilà. De toute façon, avec moi, c’est toujours foutu (rires)…

*Le comédien Jérémie Rénier s’est fait connaître très jeune dans les films des frères Dardenne. Dernièrement, on l’a notamment vu dans le film Novembre.