2023 : le beaujolais nouveau est arrivé !

« — Alors, comment y va être cette année ? » « — Parait qu’y va être meilleur que l’année dernière ! *» Contrairement aux romans de René Fallet, le beaujolais nouveau n’est pas – tout à fait — passé de mode et comme chaque année, c’est à qui célébrera de la plus païenne façon ce jus pourpré, synonyme de nuits indéfiniment étirées, de tapis de feuilles mordorées et d’éclats de rire partagés, accoudés au zinc d’un bistro de hasard.

Que celui qui ne l’a jamais fêté – pour peu qu’il ne boive pas que de l’eau, liquide nécessaire mais somme toute assez fade -, dans un bar ou dans un restaurant, le tout agrémenté de riches agapes, me jette le premier tonneau ! C’est à qui citera son célèbre « goût de banane » ou (horreur!) de « bonbon anglais », en fait un arôme dit « amylique » dû à l’ajout d’une levure chimique plus ou moins recommandable, et à qui racontera sa plus belle gueule de bois après avoir bu, allez, seulement deux (six?) verres du fameux breuvage.

Une fête aussi jeune que le vin en question

Que dire en effet, des vertus thérapeutiques dudit beaujolais, nouveau ou pas, car rappelons-le, on ne fête ce dernier que depuis 1951. Comment cela, la célébration en question n’est point coutume ancestrale ? Que nenni ! C’est un arrêté ministériel édité la même année qui mit le feu aux poudres en interdisant la commercialisation des vins d’appellation d’origine avant le 15 décembre.

Colère des syndicats viticoles, remontés à bloc en cette période d’après-guerre où le commerce se devait d’être relancé. La bataille fut brève et les voilà qui obtiennent un déblocage pour le beaujolais de l’année, dit désormais « nouveau » et autorisé à être commercialisé un mois environ avant la date officielle. Croyez-le ou non, il faudra toutefois attendre 1985, si si, pour que l’on se décide à fêter le beaujolais nouveau à date fixe, soit le troisième jeudi du mois de novembre.

Le beaujolais nouveau, une panacée ?

Mais revenons à ces bienfaits pour la santé. Outre son effet euphorisant, pour peu qu’on le consomme – avec modération — entre amis de toujours ou copains d’un soir dans un bar de quartier, l’inénarrable professeur Maury vous le conseille contre les diarrhées aiguës. Bien entendu, la condition sine qua non de l’ordonnance en question reste l’impeccable lavage de votre verre contenant la goûteuse médecine, surtout s’il est servi dans votre rade préféré, sans quoi…

Un verre de ce vin léger, avant et après le repas, et hop, vous voilà débarrassé de ces (sic) « réactions de la muqueuse intestinale avec ses conséquences pénibles et parfois douloureuses ». Un conseil : gardez-vous bien d’essayer ! De toutes façons, si vous vous êtes fait refiler une infâme piquette injustement désignée comme nouvelle, vous découvrirez la pathologie en question à défaut du remède.

Cépage unique, terroirs multiples

Toute blague mise à part, tout le monde le sait, la production de beaujolais nouveau est souvent très inégale. Pourtant, ce vin primeur exporté dans le monde entier est issu d’un cépage, un seul, le gamay, mais provient de terroirs divers. D’ailleurs, qui sait placer la région du beaujolais sur la carte, hein ?

Élèves buveurs au tableau ! Le Beaujolais s’étend du nord de Lyon, en gros, jusqu’à Mâcon, au sud de la Bourgogne viticole. Embrassant amoureusement des régions où sont produits des crus plus connus tels le chiroubles, le julienas, le morgon ou le saint-amour, pour ne citer que ceux-là, il se fait même « villages » dans le nord du département du Rhône et dans quelques communes de Seine-et-Loire. Dans sa version « primeur », il est peu tannique et se doit d’être fruité et léger en bouche, avec des arômes typiques de fruits rouges, fraise ou cerise par exemple. Non, pas de banane, on vous a dit non !

Vin de l’année, techniques de pointe

Aux dernières nouvelles, cette édition 2023, du moins d’après le jury du Trophée des beaujolais nouveaux 2023, devrait révéler un vin « sur le fruit » retrouvant le côté primeur qui lui aurait manqué l’année précédente. Mais comment travaille t-on un vin aussi jeune, dont la durée de vinification n’excède pas quelques semaines ? Plusieurs méthodes sont à priori possibles, la fermentation alcoolique classique, qui fait intervenir les levures présentes sur le raisin et dans les cuves, ne s’avérant pas totalement adaptée à la production de vins primeurs.

Plus pertinente, la macération carbonique est une technique de vinification où la production d’alcool se fait sans intervention fermentaire de levures, mais par déclenchement du métabolisme anaérobie** du raisin en l’absence d’oxygène. Pour la réussir, il faut à priori des grains de raisin « propres », c’est à dire non écrasés, ce qui nécessite des vendanges manuelles. Utilisant également des grains intactes, la méthode semi-carbonique est propre au beaujolais. Cette fois, la cuve contenant les précieuses grappes n’est pas hermétiquement fermée et se remplit du gaz carbonique rejeté par l’auto-fermentation, ce dernier finissant par remplir entièrement la cuve.

Dans les deux cas, à ces quelques jours d’une macération très particulière, succéderont obligatoirement une petite dizaine de jours d’une fermentation plus classique. Vous me suivez toujours ? En résumé, produire du beaujolais nouveau est beaucoup plus complexe qu’il n’y paraît…

Et la fête dans tout cela ?

Oui, la fête… Fruité, gourmand, gouleyant, et servi légèrement rafraîchi afin d’en faire ressortir son acidité, le beaujolais nouveau était autrefois sans prétention. De la jeunesse, il avait le côté exubérant et fugace. Il chantait la girolle et le Saint-Marcellin dans une rue de province, appelait la charcuterie sans chichis, les noix cassées à même le comptoir et le candide sandwich baguette dévoré à deux heures du matin pour « faire passer ».

De cette courte période de joie naissait l’attente sans cesse renouvelée, le plaisir de pousser les portes des bistros de quartier décorés de cocardes un peu chauvines et d’y découvrir, pour quelques sous et le cœur battant, le cru de l’année. Puis, on écoutait, pas dupes et le cœur débordant de tendresse, le tenancier vous en vanter les mérites tout en sachant qu’il pourrait bien vous retourner les tripes.

Désormais, le beaujolais nouveau voyage autour du monde en première classe, il se met en scène, traîne dans les beaux quartiers, s’invite dans les bars branchés et parfois même, il « s’instagramise ». Mais gare au larfeuille, si la bouteille de beaujolpif première fraîcheur s’acquière entre 7 et 12 euros chez votre caviste préféré, les prix s’envolent au restaurant ou dans certains lieux réputés.

Pour preuve, les touristes ou amateurs fortunés épris de tradition « cochonne » pourront ripailler 24 heures durant tout en dégustant du beaujolais nouveau au célèbre « Pied de cochon », brasserie bien connue des noctambules du quartier des Halles à Paris. A 29 euros la bouteille, il faut espérer que cette cuvée du Beaujolais Villages Nouveau du Domaine des Nugues de Gilles Gelin tiendra ses promesses et que le son de la cloche ne résonnera pas qu’au niveau du porte-monnaie.

Le beaujolais nouveau, tout un roman…

Qu’importe, le voilà revenu, cet ami de l’année dernière et des autres encore avant. Il arrive, ce vin des confinements où l’on vit fleurir de surnaturelles bouteilles délaissées par l’époque sur les rayons indignes des supermarchés. Oui, il est de retour, ce népenthès guérisseur des tourments du temps. Ni tout à fait le même, ni tout à fait un autre, il a le verbe haut et de l’allure malgré la simplicité de ses oripeaux.

« Il gagnait aux courses, allumait des quinquets dans les yeux, sautait par-dessus les comptoirs, remettait sa tournée, se renversait, cassait du verre blanc qui portait bonheur, réconciliait deux types fâchés, faisait se rencontrer deux étrangers, balançait une fille dans les bras d’un garçon, levait tous les bras en salut olympique à la santé du patron, à celle de la vie et à la tienne Étienne ! »***

Oui, le beaujolais nouveau est arrivé, et comme les livres de René Fallet, inégal et enjoué, il est venu nous accrocher au cœur des souvenirs.

* Extrait des dialogues du film de Jean-Luc Voulfow, « Le beaujolais nouveau est arrivé », d’après le roman éponyme de René Fallet

**anaérobie : se dit d’un micro-organisme qui dans une réaction chimique peut vivre sans air

*** Extrait du roman de René Fallet, « Le beaujolais nouveau est arrivé » — 1975