The Wicker Man, feu de paille ou film culte ?

Un film a t-il besoin d’être « d’horreur » pour faire peur ? The Wicker Man, de Robin Hardy, (plus ou moins) sorti en 1973, apporte peut-être le début d’une réponse. Considéré par certains comme un navet d’un goût curieux et par d’autres comme un chef d’oeuvre méconnu du genre, The Wicker Man est devenu à juste titre ce qu’on appelle un film culte. Il ressort sur les écrans français le 19 mai 2021 ainsi qu’en VOD et bientôt en DVD/Blu-Ray.

A la fin d’un beau mois d’avril, le sergent Howie survole les paysages arides et somptueux des îles écossaises. Pieux, droit, inflexible, il amerrit sur l’une d’entre elles, bien décidé à retrouver la trace de la petite Rowan Morrison, une adolescente dont un mystérieux expéditeur lui a envoyé la photo. Mais l’accueil est loin d’être chaleureux et le caractère idyllique des lieux baignés par le gulf stream – l’île doit sa prospérité à ses vergers -, le plonge peu à peu dans la perplexité. Ici, le temps semble s’être arrêté et les habitants, adeptes d’un paganisme voué à la nature et à un étrange dieu solaire, alternent entre mutisme inquiétant et hédonisme décomplexé, à mille lieux de l’habituelle rigidité britannique. Le maître des lieux, Lord Summerisle (Christopher Lee, au sommet de son art) lui donne pourtant carte blanche pour mener son enquête.

A quel moment commence un cauchemar, à quel moment Alice décide t-elle de suivre le lapin (ou le lièvre) dans son terrier ? Les rêves peuvent-ils infiltrer à ce point la réalité que les choses les plus simples, une salle de classe, des enfants chantant autour d’un mât de mai, la douceur d’une nuit printanière ou des habitués chantant dans un pub, deviennent d’effroyables visions oniriques ? Il ne faut bien évidemment pas dévoiler le cours de l’intrigue mais souligner que malgré, ou à cause de, ses défauts – une esthétique très « années 70 », une qualité photographique parfois déroutante et le jeu un peu daté de certains acteurs -, The Wicker Man distille un malaise prégnant.

The Wicker Man - Masques
The Wicker Man — Masques

Le sergent Howie rêve t-il ? Pourquoi est-il a ce point obstiné dans sa quête ? Tout ce qu’il voit et entend est-elle vraiment la réalité ? Le rendez-vous amoureux de deux escargots sur une branche, une femme nue qui sanglote assise les jambes écartés sur une tombe, une mère qui donne à gober une grenouille à sa petite fille en guise de médicament, les villageois affublés de masques d’animaux monstrueux qui guettent, apparaissent, disparaissent et réapparaissent dans un jeu de cache-cache teinté d’humour noir… Pour le spectateur comme pour le vertueux sergent, l’île est devenu un labyrinthe où l’on devine, caché tel un minotaure en osier, un but inavoué et inavouable…

Basé sur le roman Ritual de David Pinner et mutilé à sa sortie car considéré comme trop mauvais pour être diffusé tel quel sur les écrans britanniques, The Wicker Man doit également sa postérité à sa bande-son. En effet, le film est, au sens littéral du mot, « musical » et le soundrack original, remastérisé en 1998 et facilement accessible en streaming, a tout d’un excellent album de folk, à mi-chemin entre Hair et Pentangle. Ecrite par Paul Giovanni — qui chante le générique et le titre Gently Johnny dans une scène à proprement parler lunaire — , la trame sonore, interprétée par le groupe Magnet, d’ailleurs créé pour l’occasion, enchaîne ballades mélancoliques et inquiétantes, chansons plus ou moins traditionnelles et air d’opérette interprété d’une voix de baryton basse par Christopher Lee himself*.

De la fin du film, où des cuivres accompagnent un coucher de soleil rougeoyant, et de son interprétation politique et religieuse, si ce n’est philosophique, on ne peut, et on ne doit, rien dire. Si ce n’est que quarante ans plus tard, à la lumière de l’émergence de nouvelles idéologies et de courants de pensée dévoyés s’opposant les uns aux autres sans autre forme de dialogue, The Wicker Man redevient l’oeuvre singulière et signifiante qu’elle n’a jamais cessé d’être.

Intervention de Marc Olry, distributeur (Lost Films) au Cinéma Le Mélies à Montreuil

Un avant-goût du film :

The Wicker Man - Affiche de Laurent Durieux
The Wicker Man — Affiche de Laurent Durieux

THE WICKER MAN de Robin Hardy (Version Final Cut restaurée)1973 — 94 min — GB — Couleurs — 1,85:1 — Sortie 19 Mai 2021Lost films avec Studiocanal

Avec Edward Woodward (le sergent Neil Howie), Christopher Lee (Lord Summerisle), Britt Ekland (Willow MacGregor), Diane Cilento (Miss Rose la maitresse), Ingrid Pitt (la bibliothécaire), Lindsay Kemp** (Alder MacGregor le barman-hotelier)

* Bien qu»il n’interprète aucune chanson dans le film, Edward Woodward, l’acteur principal de The Wicker Man était également connu pour sa belle voix de ténor et publia à l’époque une dizaine d’albums.

** Lindsay Kemp, danseur et mime anglais reconnu enseigna ses techniques à un certain… David Bowie au début de sa carrière, inspirant à celui-ci l’aspect et la gestuel de certains de ses personnages.