Interview Cosmo Sheldrake

Devinette : quel musicien peut enregistrer le roulement d’une pièce de monnaie, le bruit du soleil ou le ronronnement d’un chat pour l’ajouter à sa musique, véritable pop électro-symphonique d’un nouveau genre ? Cosmo Sheldrake ! Tour à tour introspectif, imaginatif, créatif, et d’une curiosité toujours aux aguets, il a bien voulu répondre à nos questions à l’occasion de la sortie de son premier album, The Much Much How How And I : rencontre avec LA révélation britannique de l’année 2018.

HdO : 3 ans ont passé depuis tes premiers e.ps, et voici enfin The Much Much How How And I, tu as pris ton temps !

Cosmo Sheldrake : Clairement. Je ne voulais pas me presser, me mettre la pression. Je n’ai pas cessé d’écrire, de faire de la musique, jusqu’à ce que j’aie le sentiment que tout soit parfait. On ne sait jamais quand viennent les idées, d’ailleurs, l’une de mes chansons préférées sur l’album est arrivée trois semaines avant que l’on entame le mixage final.

HdO : De quelle chanson s’agit-il ?

Cosmo Sheldrake : Wriggle ! Voilà pourquoi je me laisse toujours trois mois entre l’enregistrement en studio et le mixage, on ne sait jamais.

HdO : Wriggle en anglais veut dire « frétiller » et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il y a beaucoup d’animaux étranges qui dansent en rond dans tes chansons. Nous avions des mouches (The Fly), des pélicans (Pelicans We), des tardigrades (Tardigrade Song), et désormais, des poux (Come Along, du moins dans la vidéo) et un Axolotl ! Tu as vraiment une passion pour les animaux bizarres ?

Cosmo Sheldrake : Vraiment je n’en sais rien ! Ils m’attirent irrésistiblement mais je les aime aussi pour la sonorité de leurs noms. Par exemple, j’adore le mot Axolotl et figure-toi que j’ai vraiment envisagé d’en avoir un – j’avais environ 16 ans -, et je comptais le partager avec un ami mais le projet est tombé à l’eau. Je ne sais pas pourquoi mais j’ai toujours ces animaux, et leurs noms, à l’esprit. Pelican We est une adaptation d’un poème d’Edward Lear, The Pelican Chorus, et The Fly est un poème célèbre de William Blake. La bizarrerie des syllabes et de ces animaux me fascine…

HdO : Il faut avouer que l’axolotl est un animal vraiment étrange !

Cosmo Sheldrake : Oui, à tel point que si tu le soumets à certains produits chimiques, l’axolotl se transforme en salamandre adulte en environ deux semaines, d’amphibien il devient alors terrestre. Je n’ai pas essayé moi-même mais mon père s’est livré à ce genre d’expérience lors de ses études. J’adore la symbolique de la métamorphose, de la transmutation.

HdO : Et si tu étais toi-même un animal, lequel serais-tu ?

Cosmo Sheldrake : Si j’étais entièrement libre de choisir, je crois que je serais une loutre de mer car ce sont des animaux qui ont vraiment l’air de s’amuser. Tout en flottant sur le dos, ils serrent dans leurs bras leur famille ou leurs amis, c’est fascinant.

HdO : Est-ce qu’elles font partie elles-aussi de ce Much Much How How and I ? Et qu’est-ce que c’est au juste ?

Cosmo Sheldrake : Pour moi, c’est la grandeur et le pourquoi de toutes choses, la possibilité de s’y plonger et la relation qu’il y a entre ces concepts. L’idée m’est venue à cause d’une amie, Nadia Chaney, qui fait de la poésie oraculaire*. C’est une sorte de jeu où l’on écrit des phrases sur un sujet précis. On les découpe, les mélange et on les passe à son voisin qui à son tour, le recompose. Lorsque le texte te revient, cela révèle quelque chose sur ce sur quoi tu t’interrogeais. Voilà comment est né The Much Much How How And I.

Cosmo Sheldrake - Album
Cosmo Sheldrake – Album

HdO : A propos, tu utilises souvent un langage inventé, ou détourné de son sens premier. Ta musique elle-même semble une sorte de langue propre.

Cosmo Sheldrake : Oui, car il y a toujours une interaction entre les deux ; la musique est une forme de langage et au contact de la musique, le langage devient de plus en plus complexe, de plus sonique. J’aime écouter quelqu’un chanter des mots dénués de sens car ils ne font plus alors appel à la partie consciente et rationnelle de notre esprit.

HdO : Je ne devrais pas essayer de comprendre, par exemple, « Come along, catch a Heffalump,
Sit with me on a muddy clump » ?

Cosmo Sheldrake : Tu sais ce qu’est un Heffalump ?

HdO : Euh…

Cosmo Sheldrake : Winnie The Pooh ! Winnie l’ourson ! Winnie et Piglet essayent sans arrêt d’attraper des heffalumps, ils posent des pièges mais bien sûr n’y arrivent jamais…

HdO : Mon dieu, des éfélants !

Cosmo Sheldrake : Oui ! Et pour moi, c’est comme tenter d’attraper quelque chose qui n’existe pas, ou du moins quelque chose d’impossible à attraper, comme vouloir saisir de la fumée.

HdO : «March with me in the borogoves… »

Cosmo Sheldrake : Là, il s’agit d’une allusion à Lewis Caroll…

HdO : Beetroot Kvass ?

Cosmo Sheldrake : C’est une boisson fermentée à base de betterave populaire en Europe de l’Est. J’en fais souvent avec mon frère et j’adore ça. Le titre de la chanson n’a pas vraiment de rapport avec le morceau. Pour ce titre, j’ai été fortement influencé par la collection d’enregistrements ethnographiques de ma mère, je cherchais un titre et là, mon frère est arrivé avec sa bouteille : « Beetrood Kvass tout le monde ? ». Et c’était juste parfait !

HdO : Ton album, brillant et complexe, utilise également des sonorités évoquant les boîtes à musique, les fanfares, les manèges : entretiens-tu un rapport particulier avec le monde de l’enfance ?

Cosmo Sheldrake : L’enfance ? Non, cela me vient plutôt de Tom Waits ! Il est, inconsciemment, l’une de mes références. Je l’ai beaucoup écouté à une époque et je jouais ses chansons à la guitare. J’ai fait partie à un moment d’un groupe, The Gentle Mystics, dont la chanteuse, Noémie Ducimetière, est une grande fan de Tom Waits. En fait, je crois que j’ai été encore plus influencé par la façon dont elle l’appréhendait, que par lui directement. Et puis, mon frère joue de l’accordéon, il y a une sorte de « tch, tch, tch » dans la sonorité de l’instrument, dans sa manière de jouer, je crois que c’est un peu un mélange des deux en fait.

HdO : Un frère accordéoniste, et scientifique, des parents célèbres dans leur domaine, dont une mère** connue pour ses études sur le pouvoir de guérison de la musique, voilà de riches influences.

Cosmo Sheldrake : Oui, ma mère enseigne les techniques vocales originaires de Mongolie et travaille sur les constellations familiales. Elle a également collaboré plusieurs années avec Stockhausen et a toujours été très intéressée par la musique électroacoustique. J’ai moi-même un peu enseigné l’improvisation musicale, un peu de piano, principalement aux plus jeunes.

HdO : Outre ce nouvel album, tu sembles toujours avoir beaucoup de projets en parallèle, je me trompe ?

Cosmo Sheldrake : Non, j’ai par exemple fait partie du projet Interspecies Collaboration. Depuis plusieurs années maintenant j’essaye de composer de la musique en lien avec la sensibilisation au problème des espèces en voie de disparition. J’enregistre des bruits d’animaux, des sons liés à la nature que j’inclue dans mes compositions car je trouve qu’ils ont une présence, une personnalité que l’on ne peut pas restituer. J’enregistre également des sons lors de mes différents voyages mais je me suis un peu calmé. Il fut un temps où j’avais toujours un petit magnétophone avec moi, j’aime les collages.

HdO : Sur The Much Much How How And I, tu utilises toute une gamme d’ instruments dont un orchestre de cuivres, est-ce que tu t’es senti un peu comme un chef d’orchestre sur cet album, toi qui joue et improvise souvent seul ?

Cosmo Sheldrake : En quelque sorte, j’ai été pas mal influencé par des musiques symphoniques, les œuvres de Stravinsky par exemple, que j’écoutais beaucoup en préparant l’album. Mais en ce qui concerne l’utilisation des cuivres, elle me vient du séjour que j’ai fait à la Nouvelle-Orléans.

HdO : C’est vrai qu’il y a aussi une influence jazz dans ton album, surtout sur le premier et le dernier morceau. Et entre les deux, tant de choses, qu’il est difficile de pouvoir parler de tout ! Alors, pour aider nos lecteurs et apprendre à te connaître un peu mieux, nous allons te demander de réagir à des mots, ou à des noms propres. Partant ?

Cosmo Sheldrake : Mais oui…

Les Beatles

J’adore les Beatles, j’ai grandi en les écoutant ! Quand j’étais à l’école primaire, je chantais souvent leurs chansons. Ils sont incontournables, c’est vraiment une de mes influences majeures, comme pour beaucoup de monde j’imagine.

Björk

J’aime beaucoup Björk mais plus pour son processus créatif, pour son inventivité, que pour sa musique. Je l’écoute assez peu en fait mais je suis très sensible à son approche, à la manière dont elle connecte les gens et les idées, l’art et la science, et sa capacité à se lancer dans des projets ambitieux. J’apprécie aussi ce mysticisme très islandais en lien avec leurs croyances animistes, cette façon qu’elle a d’appréhender la nature et les sons qu’elle produit.

Tom Zé

Ah oui ! Particulièrement cet album, Studies of Tom Zé (Explaining Things So That I Can Confuse You) et cette vidéo incroyable où lui et d’autres musiciens jouent avec des tuyaux, une machine à écrire, toutes sortes d’objets. Ce genre d’expérimentation me fascine.

La musique minimaliste

Absolument ! Je suis un grand fan de Steve Reich et la musique minimaliste a beaucoup influencé mon travail, je l’ai d’ailleurs étudiée à l’université. Plus qu’avec de simples mélodies, je ressens en l’écoutant des pulsations, presque une respiration, qui m’évoque un organisme vivant.

New-Orleans

J’ai commencé le piano blues quand j’avais sept ans et mon professeur de l’époque était obsédé par Dr. John. Il me faisait jouer certains de ses morceaux et j’ai toujours adoré son énergie et son style si particulier. Je suis parti l’année dernière à La Nouvelle-Orléans avec mon frère et un ami qui est directeur musical pour un cirque et c’était juste… incroyable. Ça a indéniablement imprégné mon album.

Pliocène

Cela représente pour moi une époque très lointaine, une échelle du temps complètement différente de la nôtre, gigantesque, qu’il convient de garder à l’esprit pour se remémorer qui nous sommes.

Ton mot préféré

Am-pli-tude ! Je dis ce qui me passe par la tête sur le moment mais j’aime le mot, sa sonorité en trois syllabes. Nous avons un jeu comme ça, avec l’un de mes amis, associer des mots ou des sons avec des chiffres. Am-pli-tude ! 3 temps…

Ton menu rêvé

J’adore manger ! Ce que je préfère, c’est une table avec plein de plats différents, servis en même temps, ou l’on peut picorer, un peu comme avec les tacos. Je raffole du petit déjeuner mais oui, vraiment, ce qu’il a de mieux c’est avoir des sensations différentes à chaque bouchée.

La musique pour aller avec

Probablement la chicha, une musique psychédélique colombienne, j’en écoute souvent quand je cuisine !

 

Cosmo Sheldrake – The Much Much How How And I – Chez Transgressive

*espérons que notre traduction soit exacte…
**Jill Purce