Sarah McCoy, sirène du Mississippi : Interview

Bien loin de la Nouvelle-Orléans, Paris a le blues en ce début juin et Sarah McCoy, perdue quelque part dans le trafic parisien, tarde à arriver. Dans les grands salons cachés de la fondation Mona Bismarck, des rayonnages de livres, vrais ou faux, déroulent leurs secrets, et pour tromper l’ennui, je les feuillette. Quand la voilà enfin, valise à la main, exubérante et vêtue de noir, elle s’excuse, hésite, rit, tempête un peu, et finalement se dirige vers des ouvrages anciens. Sur la tranche de l’un d’entre eux, un serpent stylisé. Début d’une interview à cœur ouvert…

Sarah McCoy : Un serpent… justement, j’en cherche un, pour me faire faire un nouveau tatouage…

HdO : J’ai remarqué l’alligator sur ton bras – c’est bien un alligator ? -, ce sont des tatouages symboliques ?

Sarah McCoy : Oui, je l’appelle mon « crocogator », j’ai une passion pour les alligators depuis que je suis enfant. Mes parents m’avaient convaincue de déménager de New-York pour la Caroline du Sud rien que parce que j’adorais les alligators, et les dinosaures… Du coup, (elle s’exclame, et s’esclaffe) : allez, on fait les valises !

HdO : Et maintenant, les serpents…

Sarah McCoy : Oui, j’étais plutôt anti-serpents petite puis j’en ai eu un quand j’avais une vingtaine d’années, un python. Le pauvre, c’était un vieux serpent, il est mort depuis. Mais une fois, je me suis fait cambrioler et il était autour de mon cou. J’avais peur que, terrorisé, il tente de m’étouffer mais non, et surtout, les cambrioleurs… « What the actual fuck* ! ». Je ne sais pas, je crois que mes tatouages me protègent en quelque sorte. Celui que j’ai sur la poitrine est comme un bouclier pour moi. Non pas que je sois sur la défensive mais ça me donne l’impression que je peux me défendre…

HdO : Comme une Blood Siren, le titre de ton album ? Mais qu’est-ce que c’est au juste une Blood Siren ?

Sarah McCoy (sourire) : J’imagine que c’est une sirène qui nage dans le sang ? Les sirènes ne sont pas ce qu’on croit, ce ne sont pas les mignonnes petites garces qu’on nous sert sans arrêt, l’histoire est beaucoup plus sombre que ça, et j’aime le côté obscur des choses. Nous étions en train d’enregistrer l’album et nous réécoutions cette chanson, Pistol Whipped, où il y a cette superposition de voix et d’arpèges au piano. J’ai levé les yeux au ciel et je me suis exclamée « j’ai l’impression que des sirènes me noient dans le sang, des sirènes de sang ! ». On s’est regardés avec Chilly Gonzales : « Mmm, on va peut-être garder ça sous le coude ! »

HdO : « Mermaids », étymologiquement, ça veut dire les jeunes filles de la mer…

Sarah McCoy : …qui t’entraînent vers la mort ! Les sirènes, de quelque nature qu’elles soient, indiquent le danger ! Plusieurs des chansons de l’album ont été écrites à des moments de ma vie où j’avais besoin de faire attention, qu’il s’agisse de mes sentiments, des gens que je côtoyais ou de mon propre comportement…

HdO : Et comment as-tu rencontré Chilly Gonzales ?

Sarah McCoy : Au concert que j’ai donné à la Gaîté Lyrique pour Arte, il me regardait des coulisses et je crois qu’il a trouvé ça intéressant. Je ne savais pas qui c’était en fait, ce qui m’a plutôt facilité les choses : on s’est bien amusés ce soir-là ! Le fait que l’on soit tous les deux pianistes a sans doute également aidé, même si je ne suis pas à son niveau. Je remercie le ciel de ne plus avoir 23 ans car sinon je n’aurais pas été aussi ouverte aux suggestions et à d’autres parti-pris créatifs. Ce qui a été le plus formidable dans mon travail avec lui et avec Renaud**, c’est qu’il n’y a jamais eu le moindre conflit, uniquement du dialogue, des discussions constructives.

HdO : Sur scène, tu sembles littéralement faire corps avec ton piano, comment es-tu venue à cet instrument ?

Sarah McCoy : Je ne l’ai pas choisi, c’est lui qui est venu à moi ! A la base je voulais jouer de la guitare : mon rêve quand j’avais 14 ans était d’être guitariste dans un groupe de hard rock ! Mais il se trouve que des amis de mes parents m’ont donné un piano et qu’avoir une fille qui joue du piano classique, ça avait quand même une autre allure, alors… Finalement, je ne regrette pas (rires) !

HdO : Tu as été influencée par la musique classique ?

Sarah McCoy : Énormément, par ça et par de la pop bizarre. Je me souviens que mon père, qui travaillait pour les automobiles Ford, avait eu en cadeau cette K7, une compilation (j’aurais du la garder, c’était un collector) avec Bette Midler, Julio Iglesias…

HdO : Non !

Sarah McCoy : Si ! Imagine, voilà ce que j’écoutais à l’époque : Beethoven, Mozart, Chopin et Julio Iglesias !

HdO : Bon, on entend un peu plus les influences de la musique classique sur ton album que celle de Julio Iglesias, le tout mêlé à une tonalité très blues, ce qui donne une atmosphère envoûtante, crépusculaire.

Sarah McCoy : Oui, par exemple sur Ugly Dog, l’influence d’Eric Satie, dont je suis une grande fan, sont très nettes – les trucs minimalistes, dark et dissonants, ça c’est vraiment cool -, et j’y ai pensé consciemment en composant la chanson. Il y a également des moments très classiques sur Someday, à la manière d’un Interlude, et sur New-Orleans, je produis avec mon piano des effets très « aquatiques », très Satie. Bien entendu, je ne me compare en aucun cas avec Chopin ou Debussy mais j’ai été très influencée par ce dernier : Clair de Lune a définitivement changé ma vie ! On rend forcément hommage aux morceaux et aux compositeurs qui ont tant compté pour nous. Par exemple, sur Death Of A Blackbird, la composition est en do dièse mineur, ce que je dois à Rachmaninov et à son Prélude. C’est simple, je me suis même dit à un moment que je n’utiliserai plus jamais une autre tonalité !

HdO : On capte tout de suite ces deux influences majeures sur ton album, celle de la musique classique et celle de la Nouvelle-Orléans, que tu as pourtant quittée depuis puisque tu vis à Paris.

Sarah McCoy : New-Orleans coule dans mon sang ! J’y ai vécu 8 ans et je crois qu’à la seconde où j’ai posé le pied sur l’herbe verte de la Louisiane, j’ai compris que c’était là que je devais être. La ville m’a forcément influencée, surtout dans ma manière de chanter, même si je me suis un peu calmée, si je cherche à apporter plus de nuances. Il y a là-bas des sons, des images, des parfums… New-Orleans me manque chaque jour qui passe… (l’émotion la submerge)

HdO : Ces visions, ces parfums, pourrais-tu nous les décrire ?

Sarah McCoy : Il y a certains moments, au printemps ou à l’automne, ou tu peux presque goûter la fraîcheur de l’air (les larmes lui montent aux yeux). On sent partout l’odeur de la farine grillée au beurre…

Sarah McCoy © god save the screen
Sarah McCoy © god save the screen

HdO : De la farine au beurre ?

Sarah McCoy : Oui, les gens font des roux***, la base des plats de haricots  de la cuisine créole, par exemple : c’est l’une des choses les plus savoureuses que j’ai jamais goûtée ! Je me souviens de ces petits matins à vélo, de l’odeur merveilleuse qui se dégage des restaurants, qui descend le long de la rue : je n’ai jamais rien senti de pareil ailleurs. Il faut avoir senti sur son visage l’air frais du printemps, avoir été baignée de sa lumière dorée, accompagnée du bruit des drapeaux dans le vent. Là-bas, tout le monde a des drapeaux à sa fenêtre, qu’ils soient à fleur-de-lys, l’emblème de l’état, à l’image d’un saint, ou aux couleurs de l’arc-en-ciel. Tous font entendre leur murmure, et tout étincelle de la rosée de la nuit. Et ça, tu peux presque le goûter, le savourer, mêlé au parfum du beurre, de la farine…. Tu es toute enveloppée de la brume tiède provenant de la rivière qui se dépose sur ton visage, te frôle comme un fantôme : c’est totalement magique, magnifique et un peu effrayant. Alors on se sent comme un fantôme justement, celui qui habite notre corps…

HdO : C’est presque vaudou ce que tu racontes, un peu à la manière de ton maquillage de scène.

Sarah McCoy : Oui, c’est là-bas que j’ai découvert qu’il était vraiment permis d’incarner les esprits, de changer d’apparence. Là-bas, tout est possible.

HdO : La France est bien loin de la Nouvelle-Orléans, pourtant elle t’a accueillie à bras ouverts. Est-ce que vivre à Paris influence différemment la composition de tes nouvelles chansons ?

Sarah McCoy : Aux États-Unis, j’ai eu également de belles opportunités, des gens prêts à m’aider, mais le public français encourage vraiment la créativité chez les artistes, il offre une véritable écoute. En Amérique, tout le monde n’est pas prêt à payer ne serait-ce que 10 dollars pour t’écouter ! Pour le reste, de petites portes se sont ouvertes dans ma tête depuis quelque temps et des mots en jaillissent. Mais il faut vraiment que j’organise tout ça….

HdO : Tu composes donc à partir des textes, et non de la mélodie ? Je remarque que sur ton album, outre son titre, Blood Siren, les thématiques sombres sont récurrentes. Il est souvent question du diable, de personnages inquiétants.

Sarah McCoy : En ce moment oui, les mots viennent, parfois de manière très abstraite, c’est excitant et à la fois tout nouveau pour moi, mais il va me falloir sans doute plus de temps pour composer. Quant à être dark, attirée par l’obscurité, je mets surtout tous ces thèmes dans mes chansons pour ne pas avoir à m’en préoccuper en permanence. Après tout, le Boogieman c’est moi…

HdO : Tu es ton propre cauchemar ou celui de quelqu’un d’autre ?

Sarah McCoy : De quelqu’un d’autre ! Qui n’a jamais éprouvé ça ? Rencontrer quelqu’un, se dire qu’on ne le verra sans doute plus jamais, en devenir obsédé, se persuader qu’on se rencontrera à nouveau : c’est obligé, car l’amour, le destin, devront forcément s’en mêler ! Mais ce que l’on créé surtout, c’est un monstre venimeux : « je DOIS le revoir, je DOIS l’obtenir », c’est charmant de désirer quelqu’un comme ça mais parfaitement monstrueux. Le pire, c’est que j’ai finalement aimé explorer cette dimension obscure du sentiment amoureux.

HdO : Tu n’as pas été tentée de vendre ton âme au diable pour arriver à tes fins ?

Sarah McCoy : Pff, tu parles ! Voilà bien longtemps que nous n’avons pas pactisé, lui et moi, nos relations ne sont plus ce qu’elles étaient ! J’aimerais pouvoir raconter des choses qui ne me sont pas arrivé – j’apprécie les œuvres de fiction, l’imaginaire -, mais la vie me suffit comme source d’inspiration car la peur, l’anxiété, ne me quittent jamais. Ce sont des sentiments qui ne sont pas propres aux artistes et il faut faire avec ; la mort de nos proches, ceux qui nous quittent, le temps qui passe, tout ce qui nous effraie, c’est là-dessus que l’on peut construire sa force. Et honnêtement, sans les autres, nous ne sommes rien, rien que des petits morceaux d’épave flottant à la dérive…

HdO : Ou des Blood Sirens…

Sarah McCoy – Blood Siren – 2019

Sarah McCoy continue sa tournée marathon un peu partout en France et à l’étranger en 2019 – 2020, pour en savoir plus, c’est ici !

Merci pour les superbes photos à Benoit fatou et God save the screen

*Littéralement : qu’est-ce c’est que ce bordel !
**Renaud Letang
*** En français dans le texte