The substance : miroir, miroir, …

Il était une fois, une star hollywoodienne tombée dans l’oubli et reconvertie en star d’aérobic sur petit écran, qui se fait virer du jour en lendemain par un producteur libidineux amateur de crevettes et de jeunettes.

Elisabeth, c’est son nom, expérimente alors un mystérieux produit, « The substance », qui va lui permettre de devenir une meilleure version d’elle-même. Soit une version plus jeune.

Bon, elle aurait pu Elisabeth, rêver d’une meilleure version d’elle-même sportive de haut niveau, pianiste hors pair ou astronaute, maitrisant tous les savoirs, parlant couramment toutes les langues et capable de se téléporter. Ou juste se contenter de tout ce qu’elle a. Mais non, elle veut être plus jeune, parce que plus jeune = plus belle = avoir de nouveau des rôles au cinéma, du travail à la télé et être admirée du monde entier. Hypothèse : Elisabeth vit dans une société patriarcale bien pourrie obsédée par le jeunisme. Et comme tant d’actrices, elle est prête à tout, y compris à se faire ravager la figure (vous avez en tête comme nous ce nombre incalculable de chirurgies esthétiques ratées d’actrices célèbres ?), pour goûter à la jeunesse éternelle.

Sauf que le deal de The Substance s’avère beaucoup plus tordu qu’un simple coup de bistouri ou de baguette magique en mode bonne fée de Cendrillon. Même la pomme empoisonnée de la méchante Reine dans Blanche Neige est moins sournoise. Même le pacte de Faust avec le diable, c’est dire.

Toujours se méfier de ces plans gratos un peu louches (car la substance est proposée gratuitement : vous avez déjà entendu parler de crèmes anti-rides et de chirurgie esthétique gratuites vous ?). Mais Elisabeth n’a pas vérifié le moindre avis d’internautes sur le web, checké la composition du produit ou bien appelé ses copines actrices qui auraient pu avoir déjà recours à la substance. Cela dit, il aurait fallu qu’Elisabeth ait des amis. Or, elle n’a pour seule compagnie, dans son immense appartement tout vide, qu’un portrait géant d’elle-même et une boule à neige avec, à l’intérieur, une figurine la représentant le jour où elle a reçu un oscar. Oui, elle est totalement figée dans le passé Elisabeth, et ultra narcissique. Elle ressemble aux personnages des films de Darren Aronofsky (Nina dans Black Swan, Harry, Tyron, Marion et Sara dans Requiem for a dream), nourris et rongés par leurs névroses obsessionnelles.

Mais revenons au deal. En fait, il ne s’agit pas d’une transformation mais d’une sorte de garde partagée entre la version originelle d’Elisabeth, dit la matrice, et sa meilleure version. Pendant 7 jours, la meilleure version d’Elisabeth pourra profiter de la vie, puis elle devra céder la place à la matrice, qui devra à son tour laisser la meilleure version reprendre le cours de son existence, et ainsi de suite. Les modalités de cette garde alternée devront être respectées à la lettre, au risque sinon que le bain de jouvence ne tourne mal, très très mal.

Evidemment, c’est ce qui va se passer, ça va mal tourner, ça va tourner gore, ça va tourner trash, ça va être crade, ça va être sale, ça va être sanglant. Parce que pour survivre, la matrice et la meilleure version doivent littéralement se nourrir l’une de l’autre (avec de la moëlle épinière bien appétissante, yummy !), rapport à la névrose obsessionnelle vampirisante. Mais rapidement, l’une finit par planter quelques (nombreux) coups de seringue dans le contrat (et littéralement dans le dos de l’autre), pour servir ses propres intérêts…Et l’autre va complètement péter un câble, le sens de sa vie partant totalement à vau-l’eau. Oubliant ainsi qu’elles ne sont et ne font qu’une seule et même personne…  Allo Freud ? J’ai raté ma séance la semaine dernière, mais ce n’est pas grave, je viens de me faire une session de rattrapage ultra brutale au ciné (c’est moins cher) sur ma relation toxique avec moi-même, le dégoût de soi, moi = mon pire ennemi, je crois que j’ai compris le message…

A mesure qu’Elisabeth court monstrueusement et inexorablement vers sa chute, le conte se fait tour à tour angoissant, crispant, agaçant tant il est répétitif (rapport toujours à l’obsession), grotesque et même hilarant (nerveux le rire quand même), conviant aussi bien Shining, Carrie, Enemy ou Un chien andalou, histoire de faire un super condensé de cauchemars (et on est volontairement rentrés dans cette salle de cinéma). Le tout avec une bonne dose d’hémoglobine exponentielle, de ponctions lombaires, nécroses et autres réjouissances en série que nous vous laissons découvrir par vous-mêmes sur grand écran : on ne voudrait pas non plus spoiler ces merveilleux supplices corporels d’une grande créativité et, au milieu de tout ça, d’étonnantes séquences culinaires (l’aligot party, vous connaissez ?) à la manière de La grande bouffe, qui vont bien bousiller vos prochaines nuits de sommeil. Côté spectateurs, on oscille entre attraction et répulsion, dégoût et fascination, devant cette matière cinématographique à la fois effrayante et géniale, qui vampirise nos sens et torture notre cerveau, pour nous laisser vidés de toute substance, mais (après avoir retrouvé le sommeil et démarré une nouvelle thérapie) conquis.

The Substance, de Coralie Fargeat – Avec Demi Moore, Margaret Qualley et Dennis Quaid. Actuellement en salles.

Mesdames, fini la culpabilité ! L’hiver et l’âge venant, laissez à votre double maléfique et fringant la consommation de salade verte et d’anabolisants. A vous la liberté de vous empiffrer et par-là même, de vous punir en pensant vous défouler. Tordu ? Certes, mais savoureux.

Playlist Substance I HdO

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