Big Special ne perd pas la Boule… Noire

Voilà un bout de temps que je voulais vous parler de Big Special, improbable duo surgit de nulle part, ou plutôt de Birmingham, en 2024. Leur imparable premier album Postindustrial Hometown Blues, m’avait en effet tout de suite mis la puce, ou plutôt le chien, à l’oreille. Leur deuxième l.p, National Average, sorti en juillet de cette année, ayant tenu ses promesses, leur concert du 29 octobre 2025 à la Boule Noire s’annonçait définitivement comme l’événement à ne pas manquer.

Car entre rock, électro et spoken word – vous avez remarquée, je n’ai pas écrit rap -, cohabitent chez Big Special un désespoir très contemporain et une dérision toute britannique, le tout servi par une énergie bien punk Pour faire court, Joe Hicklin (chant), et Callum Malloney (batterie, vocals), ce serait un peu les rejetons illégitimes des Sleaford Mods et de Day One*, la folie iconoclaste des Viagra Boys en prime. Enfin, un truc du genre…

Alors, elle était comment cette Boule Noire ? Eh bien, mûre à point, avec un public très mixte ; on se serait un peu cru à l’intérieur d’un pub anglais : de vieux British venus en couple ou entre amis, des nanas en mini kilts et Doc Martens, quelques bobos, et beaucoup de jeunes mecs bien décidés à s’éclater et à sauter en l’air au premier accord. Une population rigolarde et définitivement trempée par une pluie tenace : impossible de sécher ! Qu’importe, on serait bientôt ruisselants de sueur : de la bonne, infusée de ras-le-bol social, de saine colère et d’une irrésistible envie de faire la fête.

En première partie, ce fut Gans, un duo batterie/guitare, néo-punk lui-aussi. Première impression ? Mais c’est qu’il est pas mal du tout ce petit groupe français! Ah mais non en fait, ils ne sont pas français du tout. Je me suis faite avoir par la prononciation pas dégueu de la langue de Molière par Thomas Rodes, au chant et à la guitare, et par le son, d’emblée très fort ; la batterie d’Euan Woodman, tout en grâce façon marteau-piqueur, y accompagnant avec ferveur des textes survitaminés biberonnés à l’empathie. C’est qu’ils sont eux-aussi de Birmingham, comme Big Special. De vrais potos, pour qui ils n’hésitent pas à chauffer la salle  — « Go on, mortherfuckers, yell for Big Special ! » — , et avec qui ils se lancent dans une corrida endiablée qui finit, c’est logique, en un bon gros mur de la mort.

On a à peine le temps de souffler que retentit le Rawhide des Blues Brothers et que s’avancent nos faux frangins so special. Joe Hicklin vient se poster à gauche de la scène, roule des yeux, et sort deux colts, pardon, deux bananes, qu’il lance dans la foule : le ton est donné. « Nous déclarons l’ouverture de la grande discothèque ! » s’écrit son comparse Callum Malloney tout en marquant le rythme de cette manière appuyée qui caractérise le son du groupe. Voilà, c’est parti pour 1h30 d’éclate jouissive !

Le chômage de masse ? Le baiser de Judas des gouvernements et des va-t-en-guerre ? Le capitalisme et son cortège de bullshits jobs qui vous laissent seul et désespéré devant votre petit-déjeuner composé de pigs puddin et d’œufs au plat dégoulinants de déprime prolétaire : oubliés ! Alors bien sûr, le duo interprétera des titres plus sombres, comme « Black Dog/White Horse » ou « This Here Ain’t Water » — dont ils s’étonnent ouvertement de l’engouement -, mais ils peinent à cacher une joie presque potache d’être sur scène, pour la deuxième fois seulement à Paris, alors qu’ils ont « déjà fait presque deux fois le tour de la planète ».

Car il y a trois ans à peine, le duo était encore dans la mouise, englué dans une période post-covid qui a pourtant été à l’origine de leurs retrouvailles musicales. Amis depuis le lycée, ils s’aiment et se le prouvent, allant même jusqu’à se coller la bise en mode « best mate ever », et c’est sûrement vrai. La preuve, ils parlent, au public ou entre eux, et même beaucoup. A tel point que Zoë, leur manager, sort la tête de derrière les rideaux qui dissimulent le backstage. « Elle râle, on a l’habitude, il faut dire qu’on est payés au nombre de morceaux ». Zoë les gratifie d’un geste des deux doigts, ça les fait rigoler.

Toute cette bonne – au vrai sens de bonté – énergie galvanise la Boule Noire ; tout le monde saute, scande « We will sell your shit ! » (Shop Music) avec enthousiasme et pogote « pour de rire ». L’Angleterre est une vraie Shithouse ? Pas grave, la France aussi ! Quelqu’un gueule dans la foule « Fuck the Tories ! » : tout le monde se marre. Bien sûr, on rigole un peu moins lorsque Joe Hicklin nous invite à brailler « Free Palestine » et à arrêter le massacre, mais c’est demandé de si bon cœur que l’on s’exécute sans arrière-pensée.

Alors bien sûr, les potes de Gans vont revenir foutre un bordel monstre, bien sûr tout le monde va en redemander jusqu’à ce que Joe et Callum n’en puissent plus, fassent mine de sortir de scène pour une dernière fois revenir, et bien sûr ils viendront saluer sourire aux lèvres sur le « That’s Life » de Sinatra. Mais comme dans tout bon match, le meilleur reste la fin, ce moment où les (bons) supporters se dispersent en chantonnant sur l’asphalte mouillé, gonflés à bloc, heureux d’avoir été un instant réunis et de ne plus marcher seuls, fusse sous la pluie.

Big Special s’est également produit au Mutations Festival à Brighton le 8 novembre 2025 avant d’entamer une tournée aux Etats-Unis.

Pour en savoir plus : https://bigspecial.co.uk/

*Ok, là, c’est du pointu. Day One est un duo britannique auquel on doit surtout Ordinary Man, leur l.p sorti en 2000 chez Melancolik, le label de Massive Attack.