Lettre à Vashti Bunyan

Ma chère Vashti,
Je n’ai pas l’habitude d’écrire aux gens que j’aime et que je ne connais pas, mais pour toi, je ferai une exception. C’est que j’ai l’impression de t’avoir déjà rencontrée, il y a longtemps, à une époque où je n’étais probablement pas née. En ce temps-là, les utopies couraient encore le long des routes, bringuebalées par de vielles roulottes en bois et tu marchais sourire aux lèvres. Chaque jour était de diamant, à l’aube les oiseaux chantaient – ils n’avaient pas encore complètement disparu -, et toi, avec ta guitare, tu les imitais.

Il s’est passé presque une vie entière depuis ta Train Song, entêtante merveille pop, depuis la disparition de Nick Drake, « ce beau garçon vêtu de noir, presque irréel » dont tu te souviens parfois. La Nuit de décembre était bien sombre pour Nick, pour toi, elle appelait l’aube, le frémissement des arbres, l’énigme de la fonte des cristaux de neige,  le chant du merle noir et du rouge-gorge familier. Et il en est toujours ainsi.

Car tu es là, Vashti, bien vivante, tu n’as pas changée, ou presque ; le temps a passé sur toi comme un souffle léger. Pendant  tout ce temps, ta musique est restée cachée, comme un bijou tombé, peu à peu dissimulé sous la mousse. Il aura fallu attendre l’an 2000 et la réédition  – 30 ans c’est long -, de Just Another Diamond Day, ton premier et unique album d’alors, pour que de jeunes musiciens, américains pour la plupart, la redécouvre : Joanna Newsom, Devendra Banhart, pour ne citer qu’eux.

On a dit alors de toi que tu étais la « grand-mère du Freak Folk », du « Nu Folk », ou de je ne sais quoi d’autre avec une rime en « folk ». Des termes un peu réducteurs pour l’héritière d’une tradition finalement bien plus ancienne, celle du chant anglais, de la mélodie improvisée près d’un feu aux Books of Songs de Dowland ou aux Folk Songs de Vaughan Williams. Car il est toujours question de mélancolie, de rossignols, d’un chemin près de la rivière, de moissons et de houx, de quelque chose de plus délicat encore que les roses… « One charming night gives more delight than a hundred lucky days* »

Depuis, ta voix résonne à nouveau et tu as sorti deux albums, fait de nombreux featurings, participé à des hommages et à des compilations. Ton dernier disque, Heartleap, n’a que quelques semaines C’est un nouveau-né fragile auquel tu susurres de tendres berceuses et qui ouvre des yeux clairs. Il est précieux, tu as dit que ce serait le dernier. Je l’écoute alors que je t’écris et je ne sais pas quoi dire. A quoi bon cueillir les fleurs des champs, à quoi bon décrire les choses de l’intime, si l’on y pose des mots, elles fanent.

Pardonne-moi, je suis trop sentimentale, ce n’est pas sérieux. C’est que j’avais encore beaucoup d’autres choses à te dire mais ta Swallow Song, et avec elle les violons de Robert Kirby**, s’entête en ma mémoire et j’ai la gorge serrée. C’est le moment des adieux, je crois que j’ai oublié de te dire quelque chose… Voilà, ça me revient.

Merci.

Pour découvrir l’univers de Vashti Bunyan :

Heartleap – Fat Cat Records – Octobre 2014
Way To The Blue, The Songs Of Nick Drake – Various artists – 2013
Some Things Just Stick in Your Mind: Singles and Demos 1964 to 1967 – Fat Cat Records – 2007
Lookaftering  – Fat Cat Records – 2005
Just Another Diamond Day – Philips – 1970 (réédition)

* Extrait de The Fairy Queen de Purcell
**Robert Kirby, légendaire arrangeur de Nick Drake, malheureusement décédé en 2009, travailla également sur l’album Just Another Diamond Day de Vashti Bunyan

 

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