The Smiths – The Queen Is Dead
Décidemment toujours aussi pertinente, la collection Discogonie des Editions Densité fait paraître en ce début d’année 2021 The Smiths – The Queen Is Dead, de Sébastien Bismuth & Nicolas Foucault. L’occasion pour les fans, et les plus néophytes, de se pencher sur l’un des albums les plus mythiques du rock britannique.
« 1986, l’Angleterre est en ruine. » C’est dans ce contexte, comme le rappellent les auteurs que paraît The Queen Is Dead, le 16 juin de la même année pour être exact. En cinq ans d’existence seulement, The Smiths, groupe d’emblée culte, sortira quatre albums, tous restés dans la légende, et pas moins de 74 morceaux dont beaucoup sortiront en singles et seront réédités sur des compilations. Et s’il on a tout dit, ou presque, sur l’alchimie, et les dissensions, entre les deux personnalités phares du groupe, Morrissey et Johnny Marr, l’ouvrage de Bismuth & Foucault apporte, par le biais de l’étude de ce seul album, un éclairage particulièrement pertinent sur la génèse et les influences d’une carrière pratiquement dénuée de fausse note.
Car si pour beaucoup, The Smiths reste le groupe emblématique de la mélancolie adolescente – et de la jouissance romantique qu’elle procure – il ne faut pas perdre de vue la dimension politique de The Queen Is Dead et la spécificité de l’écriture de Steven Patrick Morrissey, personnalité ambiguë et frontman charismatique. Tour à tour provocateur, irritant et subtil, ses références et allusions peuvent s’avérer opaques pour les non anglophones et le présent ouvrage, extrêmement bien référencé, apporte une réponse à la plupart de questionnements qu’il pourrait soulever. Evitant habilement l’écueil d’une érudition trop aride, The Smiths – The Queen Is Dead, commence par remetttre l’album au coeur de l’histoire britannique et de l’une de ses périodes les plus tragiques d’un point de vue économique et social, puis passe en revue l’identité musicale du groupe, à mi-chemin entre jangle-pop, rock nerveux et fulgurances mélodiques.
Chaque morceau – le livre est judicieusement scindé en deux parties correspondant aux deux faces du vinyl originel – est décrypté, décodé, aussi bien d’un point de vue musical que littéraire et socio-culturel. On y apprend, par exemple, la fascination de Morrissey pour un certain cinéma britannique (The L-Shaped Room de Brian Forbes ou Billy Liar de John Schlesinger, qui influencera plusieurs morceaux du groupe), les New-York Dolls et une esthétique que d’aucun pourraient décrire comme homoérotique. Morrissey, dont l’aversion non dissimulée pour la presse, la politique et l’église, donne du grain à moudre aux deux auteurs tant son tempérament colérique, son érudition et son sens de l’humour parfois douteux – l’album ne devait-il pas s’appeler au départ « Margaret On The Guillotine » – mérite force analyse.
Contournant avec élégance l’écueil des anecdotes par trop personnelles tout en levant un pan du voile sur l’ambiance qui régnait au sein du groupe à l’époque et sur les démêlés de Moz avec l’industrie musicale, le livre a également le mérite de rappeler à quel point les compositions de Johnny Marr, ainsi que l’acuité de son analyse – il dira, entre autres, « faire partie des Smiths était à moitié être dans un groupe de rock, et l’autre moitié dans un film des années 60 » – sont à l’origine du succès du groupe et de sa postérité. Et si, comme le rappelle à la fin de leur étude les deux auteurs, The Queen Is Dead n’est certes pas le Sgt. Pepper’s Lonely Heart Club Band des Beatles, il n’en reste pas moins pour autant un très grand disque, qui gagne à être réécouter, et analyser.
Parce qu’ « un grand disque ne meurt jamais », rien n’est plus vrai…
The Smiths – The Queen Is Dead, Sébastien Bismuth et Nicolas Foucault
Collection Discogonie, Editions Densité. Avril 2021