Sur le chenin des vacances…

Toujours en veine de déambulations poétiques et gastronomiques, cette fois l’intrépide Hélène a pris des risques : destination Saint-Pierre-des-Corps pour découvrir, au fil de l’eau et au cœur du troglo, le terroir des vins de Vouvray !

Sous le pont Mirabeau coule la… Loire, en un filet d’eau. La sécheresse n’a pas attendu le nouvel épisode de canicule pour changer le fleuve en un banc de sable que nous pourrions sans peine traverser à pied. Les gabares, grâce à leur fond très plat, peuvent cependant encore naviguer. Nous embarquons donc à Rochecorbon, avec vignerons et sommelier, à bord de La Rabouilleuse et de Sybille, pour une dégustation de vins de Vouvray avec vue sur les coteaux. In vino veritas. Pourtant, nos deux capitaines, anneau à l’oreille, n’ont pas besoin des charmes de la bouteille* pour se révéler sous leur meilleur jour : bruns ténébreux, silhouettes de Corto Maltese !

Bord de Loire © Hélène Baratte
Bord de Loire © Hélène Baratte

De Corto en côteaux

Sur son bateau au nom balzacien, Clément Sirgue nous désigne les traces du passage d’un castor alors que le millésime 2014 s’ouvre et se verse. Dans nos verres, le terroir – argilo-limoneux, de silice, de silex ou de tuffeau jaune – développe ses arômes multiples. Un, deux, trois, quatre, cinq, six… Les domaines se succèdent jusqu’à l’évidence : les vins de l’appellation Vouvray, bien qu’issus d’un seul cépage, le Chenin Blanc, ont des caractères bien différents ! Tout en cherchant à distinguer une « finale en pâte d’amande », je m’interroge sur la suite de la matinée : sous nos chapeaux de paille et déjà presque 30 degrés, comment allons-nous survivre à la « tournée » ? Nous sommes certes servis avec mesure mais j’y trempe plus que mes lèvres. Recracher ? Non. Je laisse cela aux œnologues de formation et experts du vin qui m’entourent. « Le castor plonge à terre pour chercher les branches de sa hutte puis, gêné au sol par ses pieds palmés, retourne vite à l’eau », reprend notre marin. Le rongeur peut s’avérer un formidable conseiller !

Vignes AOC Vouvray et clocher église Vouvray © AOC VOUVRAY
Vignes AOC Vouvray et clocher église Vouvray © AOC VOUVRAY

Après le citrus et les agrumes, assez tranchants, je respire des fruits mûrs et confits, mêlés à des notes mellifères et résineuses. Mon premier coup de cœur est un vin tendre, le Domaine du Viking, de Lionel Gauthier. Thierry Nérisson, qui décompose et analyse le bouquet, l’associerait à des épices comme le curry.

Un regard à mon téléphone : nous avons dépassé l’heure de rendez-vous aux Hautes Roches, ce manoir qui nous fait face, accroché à la falaise. Au même moment, la tranquille dérive de notre embarcation s’interrompt. Le moteur en marche, nous filons. Le vent s’engouffre dans ma blouse qui se gonfle comme une voile.

Gastronomique et… troglodyte !

Nous changeons de point de vue : Les Hautes Roches surplombent magnifiquement la Loire. La fraîcheur est restée attachée à l’ombre des tilleuls, quand nous nous installons à la table étoilée de Didier Edon où une royale de foie gras et crème de petits pois, réhaussée du fumé de l’anguille et du fruité délicat des girolles, accompagne le Domaine de Vincent Carême (Le Peu Morier) et le Domaine du Clos Naudin. Philippe Foreau nous proposait son moelleux 2009 avec une légère appréhension, craignant que ses parfums de poire et de coing se marient mal au vert de l’assiette. Alors, avec un bouillon de volaille, le chef a contrecarré la note végétale !

L’évocation d’une herbe aromatique crée aussi quelques inquiétudes et grimaces. Heureusement pour les « haïsseurs » de coriandre, la graine a été préférée à la feuille. Sa saveur anisée relève habillement le beurre noisetté de la sauce et le gras du pied de cochon, associé à celui de l’anguille. Ce terre et mer est une merveille ! Carotte et langoustine rôties sont d’un incroyable fondant et le légume-racine, dont le farineux a gommé l’acidité du vin, dévoile une jolie sucrosité.

Les Hautes Roches Restaurant © Hélène Baratte
Les Hautes Roches © Hélène Baratte

Le plat suivant, le « pigeonneau de Racan, suprême sur la peau, cuisse farcie », divise, surtout avec l’andouille, qui couronne l’épeautre, ou la « gavotte des Béatilles », galette farcie de boudin noir. Plus unanimement, les accords ne convainquent pas vraiment. Le demi-sec du Domaine François Pinon, rescapé du gel des vignes qui ne donna qu’une seule cuvée, le 2016, est tout ce que j’aime mais, par cette chaleur étouffante, et avec la réduction brune et sucrée, nous rêvons injustement de plus de légèreté au palais. Bienvenus, le sorbet piña colada et la tranche d’ananas surmontée d’un sablé mangue-passion et vanille exaucent parfaitement nos vœux.

Un café, un dernier coup œil aux chambres troglodytes du luxueux hôtel-restaurant, en passant, et nous prenons la direction de la cave touristique d’Alain Le Capitaine, président du Syndicat des Vignerons de l’Aire d’Appellation Vouvray.

Vouvray entre terre et ciel

Distribution de casques de spéléologie et de polaires, sous 38°C… Il faut dire que, dans les entrailles de la roche, où reposent les bouteilles en sommeil, la température, alliée à une humidité constante, n’excède jamais les 12-13°C. Dans ce mystérieux labyrinthe, je m’imagine Damien Pinon, l’un de nos vignerons-chauffeurs, enfant. Selon l’anecdote, il tourne à travers le dédale des carrières, à la recherche d’un trésor, un chien à ses côtés, précieuse boussole, pour retrouver invariablement la sortie. Dans la pénombre, je vois aussi des yeux qui clignent, malgré la climatisation salvatrice des lieux, attirés vers la sieste. Pour bien nous réveiller, une petite dégustation à l’aveugle a été organisée ! Les connaisseurs ne se trompent pas, reconnaissant la richesse des millésimes 89 et 90.

Vue aérienne de Vouvray © Gérard Proust
Vue aérienne de Vouvray © Gérard Proust

Nous remontons vers le ciel azur où le soleil cogne toujours plus fort. « Honte à qui n’admirait pas ma joyeuse, ma belle, ma brave Touraine dont les sept vallées ruissellent d’eau et de vin », écrivait Honoré de Balzac, Tourangeau de naissance. Nous l’admirons maintenant de la fenêtre ouverte, parcourant les huit communes sur lesquelles s’étend le vignoble de Vouvray. Alors que tout jauni ailleurs, il est d’un vert rassurant. Et voilà, après quelques kilomètres, un bleu envoûtant : la piscine du Domaine des Bidaudières ! À défaut de nous y baigner, nous plongeons dans des fines bulles et l’effervescence des discours annonce l’envol d’une montgolfière aux couleurs du Vouvray.

Et bientôt, les pistes cyclables ne seront plus en travaux, nous pourrons refaire notre itinéraire… à vélo, pour redécouvrir comme en rêve, la Loire bien au-delà de ses châteaux, Chambord ou Chenonceau.