Spécial K #1 : Mathieu Kassovitz

K… comme Mathieu Kassovitz

Mon ennui ne s’est pas dézingué sous une nuit de déglingue. Pas de jambes en caoutchouc à trop danser sous la boule à facette. Le Special K d’HdO n’est pas une substance psychédélique frelatée. Non, j’ai juste regardé des films et des séries, mais parfois c’est pareil.

Kassovitz l’espion ?

Dans le désordre, je voudrais Le Bureau des légendes, d’Éric Rochant. Saison 5 épisode 10. Fébrilité de la dernière minute et question lancinante : y aura-t-il une saison 6 ? Je n’aurais jamais cru m’inquiéter de ça à propos d’une production française.

Mathieu Kassovitz © Bertrand Noël
Mathieu Kassovitz © Bertrand Noël

Si la série s’achève à cet instant, alors elle pèse dans mon cœur le même poids que Mad Men, The Wire, Les Soprano et Six Feat Under avant elle. Les créateurs décident de couper le moteur. Travelling avant, travelling de temps… The End. Vous, les fictionnels amis, vous nous quittez – peut-être à jamais. Et nos affections invisibles de pendre, bras ballants. Toute cette fatalité, toute cette démesure de petits hommes croisés puis laissés là : c’est beau, ça pourrait durer toujours ; ça s’arrête maintenant.

Dans le Bureau…, Mathieu Kassovitz est Malotru, un Ulysse affrontant les périls de nos temps. Un « espion » droit, un dur-à-cuire un peu traître à ses heures, déloyal par pure loyauté, mais aussi par amour. Les plateaux de la cantine de la DGSE et les cravates moches remplacent allégrement le sabre et la cape. Les héros très discrets n’ont que faire du folklore… Au-delà de la finesse des personnages, de l’attrait naturel pour la vie des agents de renseignement « ordinaires », la puissance de la série réside peut-être dans une évocation de la chevalerie, de l’hybris (démesure) et de la mètis (la ruse de l’intelligence) de la tragédie grecque…

Acteur ou réalisateur ?

Métisse, c’est aussi le premier long-métrage en tant que réalisateur de Mathieu Kassovitz. Réalisateur, un « vrai » métier que celui-là… Car selon Kassovitz, faire l’acteur, c’est avoir la vie facile, arriver et jouer ses lignes, être chouchouté, regardé et aimé. Réaliser, c’est trimer, douter, bosser dur pendant dix ans, se faire juger et démonter…

Dans la plupart des films de « Kasso réal’», on retrouve une certaine conception de la loyauté, de la justice au sens noble. Il y aurait même quelque chose du moraliste du XVIIe siècle. La Haine ou Assassin(s), on sait bien que ce n’était pas une caricature des méchants flics ou de la violence gratos, que c’était quand même bien l’idée de regarder une société déliquescente – aussi crispante que la tchatche incessante de Vince (Vincent Cassel) dans La Haine ou la télé allumée en bruit de fond continu dans Assassin(s) – et d’avoir les tripes de dire : toute cette injustice, tout ce qu’on laisse pourrir, on en fait quoi ?

L’Ordre et la Morale, sur la crise des otages de Nouvelle-Calédonie, à Ouvéa, en 1988, c’est encore ça : face à la raison d’État, que fait-on de l’ordre juste, de ce qui devrait être ? D’aucuns ont trouvé le film caricatural, qui réfute la version officielle de ces événements tragiques.

Mais n’est-il pas nécessaire d’interroger les événements, de faire entendre d’autres voix, de parler trop fort, de haranguer la foule avec l’honnêteté des nerveux écorchés, de s’indigner avec sincérité des files d’enfants qui, sous d’autres latitudes et présentement, attendent dans le froid de passer la frontière ? N’est-il pas nécessaire de rappeler l’histoire qui se répète, et avec elle ses lâchetés ?

Humain, trop humain…

Toujours dans le désordre, je voudrais l’ambivalence humaine dans l’histoire troublée : Amen de Costa Gavras ou Un héros très discret de Jacques Audiard. Qui est héroïque et qui est fou, profondément droit ou désaxé ? Le martyr ou le fantasque ?

Dans Un illustre inconnu de Matthieu Delaporte ou Vie sauvage de Cédric Kahn, en passant par Sparring de Samuel Jouy, il y a l’humanité à vif. Dans ce dernier, l’acteur se fait boxeur vieillissant et un peu loser, en quête de l’ultime combat, de l’ultime victoire. D’un regard posé sur sa fille, on sait qu’il voudrait lui offrir un monde hors de portée : celui de la musique réservée aux bourgeois, celui d’un piano à soi pour jouer toutes les notes qui lui sortent des doigts, parce qu’elle a « le truc ». Un monde illuminé.

Peut-être tout artiste de valeur croise-t-il le cœur du réacteur humain : la fatalité, les choix moraux, l’amour fou, la duplicité, la douleur, les coups qu’on prend et ceux qu’on donne, la petitesse, la grandeur… Et les souvenirs.

Ce dernier thème sera visiblement central dans le futur projet de Kassovitz réalisateur. Mind Fall est annoncé comme une dystopie. Dans un merveilleux nouveau monde, les souvenirs des autres sont une drogue de choix et se monnaient à prix d’or. Finalement, on en revient bien aux substances psychédéliques…

Spécial K épisode 2
K comme… Alexis MichaliK

– Photo : Bertrand Noël
@bertrand_noel

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