Thomas Fersen — Dieu sur Terre, acte I : le livre

Les histoires, c’est bien là l’essentiel ! Les dernières lignes du premier roman de Thomas Fersen ne disent pas le contraire… Mais commençons par le début.

En 1993, j’entendais pour la première fois Le bal des oiseaux, dans la voiture familiale, en rentrant de vacances bretonnes.

Depuis, j’aime les histoires de Thomas Fersen, ce petit je-ne-sais-quoi de loufoque et de tendre, de purement chansonnier et de pop à la fois, ses bestiaires joyeux et l’absence totale d’esprit de sérieux. Comme la flânerie d’un dimanche à la campagne qui s’achèverait dans la fièvre, à écouter du rock dans une cave, en dansant le twist.

Dieu sur Terre est dans cette veine, nous laissant flotter dans tant d’autres temps. Les cols amidonnés du père sévère, les bouffonneries enfantines et candides d’une fratrie, l’orange Pompidou et les blousons noirs, l’enfance qui défile, l’adolescence dans un Paris canaille et bonnard, à l’ombre d’un grand frère qui se prend pour « Dieu sur Terre » ; tout cela compose, par touches, le journal de bord d’un jeune garçon badin.

Les images s’impriment sur la rétine, comme dans ce « terrain des essences », souvenir de service militaire, où le cabotinage reste en suspens pour laisser la place, un court instant, à une rêverie éveillée, contemplative, dans un improbable dépôt d’essence à ciel ouvert, à La Courneuve :

« De quart avec mon équipier, on avançait avec prudence, de peur que ça nous pète au nez, sur le tout frais tapis de neige tombé au cours de la journée, demeuré absolument vierge et épais comme un édredon, comme dans le rêve incolore d’une cité à l’abandon après une ruée vers l’or.
Et pourtant, on ne rêvait pas.
On avait perdu la parole.
Soudain les craquements de nos pas écrasants cette neige molle ont mis le chenil en émoi. Les mâchoires mordaient le grillage et longtemps dans notre sillage les molosses donnèrent de la voix. »

« Le terrain des essences »

« Victor Hugo », « Le slip en chat », « La tranche de foie », « La bassine jaune »
Par ces courts fragments aux titres alléchants, Thomas Fersen distille les bribes de vie d’un petit cancre rêveur amouraché de mots, de musique et de filles, jusqu’à l’orée de son destin :

« À cause de cette voix éraillée que m’a refilée ma grand-mère – de loin, on l’entendait brailler, elle vendait du poisson, Mémère – moi qui n’aime pas brasser du vent, j’ai été bombardé chanteur.
Je ne me mets jamais devant, je reste près du radiateur, parce que devant, c’est les fayots. Et moi, peut-être que je me trompe, je préfère vendre du cabillaud plutôt que de lécher les pompes.
Ce sont les autres qui m’ont poussé, je n’y avais jamais pensé, pas plus que de me faire prêtre, c’est guitariste que je veux être.
À cause de l’odeur de l’ampli, des lampes, ça sent les fruits des bois.
Et les oreilles, ça les remplit. »

« On a laissé faire le destin »

Thomas Fersen, Dieu sur Terre, éditions L’Iconoclaste, février 2023, 20 euros.