Peter Von Poehl : Big Interview

Quatre ans ! On aura attendu quatre ans le troisième album de Peter Von Poehl, songwriter suédois délicat et inspiré, que l’on suivait en retenant son souffle depuis 2007. Le voilà enfin, ce Big Issues, Printed Small qui, miracle, ne déçoit pas, bien au contraire. En interview, Peter Von Poehl ressemble à sa musique : enthousiaste, disponible et lumineux. Jugez plutôt…

www.horsdoeuvre.fr  : Big Issues, Printed Small… C’est le titre de ton nouvel album, voilà qui est un peu énigmatique, non ?

Peter Von Poehl : Eh bien, l’ensemble de l’album est assez contradictoire… J’avais l’idée de la pochette avant même d’avoir écrit la totalité des chansons ! C’est une œuvre de ma sœur, Charlotte Von Poehl, qui est artiste plasticienne, et qui, déjà sur mon premier album, Going to Where the Tea Trees are, m’avait prêté ses  «petites flèches» pour l’illustrer. Il faut imaginer ça : 20 à 30 000 flèches réalisées à la main ! Le visuel de Big Issues, avec ses petits carrés en couleur, affiche une précision, une maîtrise apparente, une grande exactitude, alors que si l’on regarde de près, il y a des taches un peu partout, c’est très bancal, ce qui pour le coup me semble bien correspondre à l’album. Quand j’ai commencé à travailler sur le disque, je cherchais déjà une chanson qui résumerait ce dessin…

HdO : Tu élabores toujours tes albums de cette manière, très en amont, avec beaucoup de minutie ?

Peter Von Poehl
Peter Von Poehl © Guillaume Lancestre

Peter Von Poehl : En tout cas, pour celui-ci, tout était déjà écrit sur partition, jusqu’à la moindre note de triangle, pour des formations allant jusqu’à 40 musiciens ! Pendant une longue période, tout à a été totalement maîtrisé, en plus mon arrangeur est très soigneux… Paradoxalement, on est parti enregistrer le disque en une journée, sur bande, de la manière la plus lo-fi possible. Il y a un côté absurde dans ce genre de préparation…

HdO : … Presque monomaniaque ?

Peter Von Poehl : Oui, c’est ça ! Et en même temps, je voulais protéger ce disque de moi-même, y laisser entrer le hasard un peu à la manière d’un Polaroïd ou d’un arrêt sur image. Impossible de retoucher ou presque ! Je crois que ça résume bien le disque.

HdO : Est-ce cela qui explique que l’on ait dû attendre si longtemps ce nouvel opus, alors que tu présentais déjà certaines des chansons y figurant sur scène, au festival Days Off, par exemple ?

Peter Von Poehl : Je crois, oui… L’album aurait pu être enregistré bien avant. J’avais écrit les chansons en très peu de temps, mais il faut savoir que j’ai commencé à tourner avant que mon premier album sorte et je n’ai plus arrêté jusqu’en 2009 ! J’ai enregistré May Day entre deux concerts et j’avais vraiment envie de me remettre à d’autres projets ! Coïncidence, j’ai reçu un mois plus tard cette proposition pour un concert avec un orchestre : finalement, six mois encore plus tard, les chansons étaient là ! Je voulais prendre ce temps pour étrenner les morceaux sur scène, essayer toutes sortes d’arrangements, j’y tenais beaucoup…

 HdO : Parmi ces autres projets dont tu parles, il y a le cinéma. Tu as récemment collaboré  avec Valérie Donzelli sur son film Main dans la main : une approche très différente ?

Peter Von Poehl : Je ne devrais pas dire ça – on va moins bien me payer (rires) –, mais faire de la musique sur des images, c’est tellement facile ! C’est un medium tellement fort où le visuel donne toutes les clefs ! Alors en effet, ça m’a fait réfléchir sur ma musique. Je parlais tout à l’heure des arrêts sur image et c’est vrai que sur cet album, chaque chanson est un peu comme une nature morte, ou un petit film, où finalement, on n’en sait pas plus à la fin… Valérie, bien qu’elle ne soit pas musicienne, était très présente, très attentive, donnant des indications, et elle avait souvent raison ! Je trouve qu’elle a un très chouette univers… J’ai également travaillé sur un film lituanien, Vanishing Waves[1], qui ne devrait pas tarder à sortir en France. C’est très très étrange et complètement original, de la science-fiction où la musique épouse l’action à la micro-seconde ! La réalisatrice a dû terroriser la terre entière pour faire ce film et j’ai échappé de peu à la torture mais elle a bien fait (rires) ! J’ai également récemment collaboré au documentaire I Am Dallas Malloy[2], consacré à la vie d’une boxeuse américaine où, cette fois, le réalisateur a remixé tous les morceaux que je lui ai fournis, instrument par instrument, et il a réussi bien mieux que je ne l’aurais fait ! Il y a tellement de façons de faire avec le cinéma, que je trouve ça magique.

HdO : Big Issues a été enregistré en Suède. Est-ce que la nature, omniprésente là-bas, t’a influencé ?

Peter Von Poehl : Ah ! Je ne sais pas… Je crois que c’est plutôt dû à des habitudes. J’ai commencé avec Christopher Lundquist qui tient le studio et est également co-réalisateur ; j’avais même enregistré des maquettes chez les parents de sa petite amie il y a des années de cela ! Pour cet album, nous avons travaillé sur bande avec un temps imparti pour chaque chanson. Si la prise ne nous plaisait pas, il fallait rembobiner et tout refaire ! Au final, je trouve que la technologie numérique est assez dangereuse puisque l’on peut tout réparer. J’aime cette urgence que l’on ressent dans les concerts, à la fois éphémère, instantanée, absolue, ancrée dans le temps, impossible à rectifier. Lors de l’enregistrement, tout le monde était épuisé à la fois physiquement et psychologiquement, mais est-ce que ce n’est pas comme ça, jusqu’à récemment, qu’on enregistrait la musique populaire ?

HdO : Pour les arrangements, tu travailles avec Martin Hederos, c’est bien ça ?

Peter Von Poehl : Oui et c’était assez marrant… Pour moi, l’écriture est un processus assez solitaire et parfois un peu laborieux, mais grâce à cette collaboration, elle est devenue tout autre. J’écrivais paroles et chansons en même temps et je les envoyais tout de suite à Martin, même quand ce n’était pas tout à fait fini, ce qui fait que presque sans m’en rendre compte, dix chansons étaient déjà terminées ! Tout s’est fait d’une manière très joyeuse ; après chaque concert, on retravaillait les morceaux en fonction de ce qui s’était passé. À chaque fois, on jouait avec différentes formations, différents orchestres auxquels il fallait réadapter les chansons.

HdO : On pourrait presque parler d’œuvre commune, un peu à la manière d’une gymnopédie de Satie orchestrée par Debussy, pour prendre un exemple très classique…

Peter Von Poehl : C’est assez juste… Il y a beaucoup de Martin dans tout ça, ce qui produit une sorte de minestrone (rires) !

Peter Von Poehl
Peter Von Poehl © Guillaume Lancestre

HdO : Et dans ce délicieux minestrone de pop orchestrale, j’ai parfois senti un petit goût de Divine Comedy ou Mercury Rev, dis-moi si je me trompe ?

Peter Von Poehl : Ah ! Je suis content… Le Live à Somerset House de Neil Hannon est un disque que j’ai beaucoup écouté, j’aime bien aussi certains albums de Mercury Rev, bien qu’ils aient, à mon avis, une autre approche. C’est drôle, un autre journaliste m’a demandé mes références, mais c’est une question que je ne m’étais pas vraiment posée. Pourtant j’aurais pu, il y a quand même pas mal d’albums dernièrement qui ont été enregistrés avec des orchestres… Mais souvent ça ne m’attire pas tellement ! J’aime beaucoup Neil Hannon, c’est vrai, mais il y a parfois trop d’arrangements dans ce qu’il fait ; je voulais pour ma part que ce soit plus épuré. Par exemple, pour la session, il y avait onze instruments à vent mais enregistrés avec seulement deux micros, ce qui fait que finalement on n’entend pas trop ce qui se passe ! Le piano aussi, il y avait juste un micro dans un coin, comme ça on l’entend vaguement, etc. (Rires.)

HdO : Je ne sais pas si c’est dû à ce genre de technique, mais j’ai aussi retrouvé dans ce nouvel opus ce côté féerique, cet émerveillement qui évoque l’enfance, qui m’avait séduit dès le premier album. Est-ce que c’est conscient chez toi, ou pas du tout ?

Peter Von Poehl : Sur le premier, c’était extrêmement conscient ; j’avais déjà fait un album auparavant qui avait fini à la poubelle. Produire un disque en solo était loin d’être évident pour moi et le déclic s’est fait par les paroles. Finalement, ce disque, c’était un peu comme des fouilles archéologiques dans mes souvenirs d’enfance. Les cuivres, par exemple, sont liés à la musique de l’Armée du Salut. L’harmonium m’évoque l’école, les chants de Noël… Tous ces sons sont vraiment en lien avec l’enfance, un peu à la manière des boîtes à musique. Après, sur les autres disques, je crois que ce sont des choses qui sont restées, inconsciemment ; c’est à la fois très important et anecdotique.

HdO : Un peu comme un jeu ?

Peter Von Poehl : Oui, ce n’est finalement pas plus que cela. Je crois que les enfants ont raison : « Play music ! », ça ne devrait pas être plus sérieux que ça !

Photographies : Guillaume Lancestre pour HdO

Big Issues Printed Small – Sortie le 18 mars 2013


[1] Vanishing Waves de Kristina Buozyte

[2] I Am Dallas Malloy d’Antoine Arditti, sorti TV en octobre 2012