Le coeur narvalo : rencontre avec Johnny Montreuil

Jours de pluie, jours d’ennui, « une ville grise sans marquise »… Parisien emporté par un wagon d’infortune, te voilà pris au piège d’une ligne qui n’a plus rien de 9. Tu t’arrêtes, un peu perdu, face à la mairie, et tu marches, presque triste, le long du cimetière : pardonnez-moi mon dieu, parce que j’ai « pêchers »… Mais là-haut, à Montreuil, t’attend la bande à Johnny. Un cirque qui n’a pas vu d’enfants depuis longtemps, une caravane ouverte à tous les vents, des guitares, du café, quelques clopes, des chèvres, la voisine qui salue les gadjos, tu as le cœur qui bat et tu te prends à rêver, te voilà narvalo, Narvalo For Ever…

Narvalo City Rockerz

Johnny Montreuil © Bertrand Noël
Johnny Montreuil © Bertrand Noël

Car Johnny Montreuil n’est pas qu’un chanteur, c’est aussi un groupe et, moustache drue, teint basané et sourire en coin, il tient à le rappeler : « Quand je dis que j’ai « construit » Johnny Montreuil, c’est qu’à la base, on partait de rien du tout, il nous fallait donc inventer une imagerie, tout ce qui va autour d’un personnage un peu artistique. Le nom de Johnny Montreuil était logique, les morceaux de Johnny Cash, la vie à Montreuil ; c’est devenu un nom, un nom marrant, un nom d’apache, un nom qu’on se donne comme quand on est dans une bande ou chez les blousons noirs, et puis ça correspondait à l’époque à un changement de vie. Johnny m’accompagne sur scène et au cinéma, je m’en suis servi pour faire parler du groupe, mais bon, je m’appelle Benoît Dantec, je n’ai pas vraiment de problème de schizophrénie. »

Aussi sérieux pendant leurs répétitions qu’animés par une saine folie lors de leurs concerts (la Comedia s’en souvient encore, allez Gigi, sers m’en trois !), Johnny Montreuil et ses musiciens, c’est avant tout une histoire de rencontres, d’amitiés, d’amour de la musique et de délires partagés. « J’ai rencontré Kik sur Montreuil » nous explique Benoît – Johnny, « il fait partie de plusieurs groupes, il est aussi graphiste, et on traînait un peu dans les mêmes endroits, des bars où on jouait avec nos groupes respectifs et c’est comme ça qu’on s’est croisés. Quand on a sorti notre premier e.p 5 titres, on faisait un concert au Zèbre de Belleville et je lui ai proposé de venir jouer de l’harmonica sur quelques morceaux, juste comme ça. Du coup, on a répété dans cette caravane-là, avec un autre pote ; le concert était cool, on a bien aimé l’énergie, bien senti le truc. Il m’a dit qu’il jouerait bien avec nous et c’est parti comme ça. Maintenant, on se retrouve souvent à jouer tous les deux dans des petits lieux intimistes et on a construit une belle relation. »

Johnny Montreuil © Bertrand Noël
Johnny Montreuil © Bertrand Noël

Et ses deux autres comparses alors, eux-aussi influencent la musique de Johnny Montreuil ? « Clairement ! Visten et Ron ont un autre groupe, Slobodan Experiment, ça donne forcément une autre couleur, car c’est avant tout un groupe de surf, une tonalité qui peut apparaître sur certains titres. » Y compris sur le travail du 3ème album, déjà en gestation ? « En tout cas, on a bien fait tourner le live depuis cet été avec toujours un peu les mêmes morceaux alors on va ramener un peu de fraîcheur… C’est un peu trop tôt pour en parler mais notre futur album risque d’être plus « africain », et une chose est sûre, il y aura encore plus cette dimension de groupe dans la construction musicale. Il n’y aura pas forcément plus de percussions, on ne changera pas nos instruments mais on a bien envie d’aller explorer d’autres terrains, de faire de la transe, de se taper un autre délire. »

J’avais une famille…

Kik Liard Johnny Montreuil © Bertrand Noël
Kik Liard © Bertrand Noël

Mais sera t-il toujours question de terrains vagues, de vagues à l’âme, de lames de fond du Fond des Bars ? Là, il sourit Johnny : « j’aimerais vraiment que le prochain album parle un peu plus des femmes. Les femmes, elles nous font ressentir des choses un peu contradictoires, en bien ou en mal… En gros, quand on n’en n’a pas, on en veut une, et quand on en a une, on n’en veut plus… Mais bon, pour les meufs, c’est peut-être pareil avec les mecs non ? » — Approbation, éclats de rire — « Après tout, c’est un truc qu’on ne comprendra jamais et dont on a besoin viscéralement, un peu comme une addiction naturelle, c’est la base de tout ce qu’on est », conclut-il, philosophe.

Les femmes, la dèche, l’asphalte, les petits bars où on se réchauffe le cœur à grands rasades d’amitié et de tendresse bourrue, c’est cette banlieue-là que chante Johnny Montreuil. Pas une banlieue de carte postale, pas non plus celle qu’aime montrer les médias arrivistes : vous reprendrez bien une petite polémique ? C’est bon pour l’audimat ! Et ça, Johnny, ça le hérisse : « La banlieue, ça devient de plus en plus aseptisée, alors les propos de tous ceux qui viennent balancer dessus à la télé ou à la radio sont encore plus hors sujet qu’il y a 20 ans ! La France est de toutes façons un pays métissé et la banlieue est une bonne vitrine de ce métissage possible et heureux ; la consanguinité, on sait où ça mène ! Quelle chance d’avoir autant de cultures différentes à Montreuil, de pouvoir voyager en allant à la rencontre de l’autre : c’est ça le véritable bien-être. La communauté manouche, par exemple, fait partie de l’histoire particulière de la ville. Les gens à Montreuil se sentent avant tout montreuillois, il n’y a pas d’ « invasion », juste des gens qui essayent de vivre, voire de survivre, alors qu’on leur foute la paix ! ». Tu m’étonnes…

Artiste de bar

Rön « Droogish » Johnny Montreuil © Bertrand Noël
Rön « Droogish » © Bertrand Noël

Mais comment dire tout ça, comment conter cette « banlieue chérie » et les grandes histoires de ceux que l’on dit « petits » ? En maniant la langue bien sûr, le beau verbe cher à la chanson française et l’argot, expression de la créativité populaire : « L’argot, il vient comme ça, je ne cherche pas vraiment l’origine des mots, on ne se rend parfois même pas compte qu’on les utilise. Avec les potes par exemple, j’ai appris plein de mots manouches et c’est super intéressant. Ma mère, quant à elle, parlait l’argot et s’en amusait, en jouait ; on garde probablement un parler sans s’en rendre compte. Mettre ces mots de tous les jours dans un beau texte bien écrit, avec un langage plus soutenu, c’est à la fois passionnant et pas évident. Audiard savait très bien le faire, Cochran* également, un pote du groupe les Moonshiners ; il a écrit trois livres, en plus de tous les articles qu’il publie à côté, et je trouve qu’il manie très bien cette langue-là, une langue très recherchée inspirée du vieil argot français mais là, c’est un véritable exercice de style. J’aime aussi beaucoup la chanson française : Brel, Brassens, Ferré, mais plus dans l’écriture en ce qui concerne ce dernier, moins dans l’interprétation, Moustaki également. Je m’inspire beaucoup de ce côté vieille école mais ce qui est vraiment intéressant, c’est de donner à tout ça une couleur musicale plus rock.»

Johnny Montreuil © Bertrand Noël
Johnny Montreuil © Bertrand Noël

S’approprier une langue, n’est-ce pas après tout une forme de liberté, une arme contre la pensée unique ? En tout cas, le monde de Johnny Montreuil est, le plus possible, une zone libre, un refuge contre le formatage et un manifeste d’indépendance, ce qui vaut également pour les lieux où ils se produisent, que ce soit dans de grands festivals où dans des rades, enfin, façon de parler… « La Comedia par exemple », — on y revient, et c’est vrai, l’ambiance y est unique -, « reste l’un des derniers endroits assez libre à Montreuil. Il faut aller jouer dans ces lieux indépendants, au chapeau si nécessaire. Les gens adhèrent au lieu et font confiance à la programmation, aux gens qui s’investissent, qui vont chercher des groupes, ils viennent les yeux fermés en quelque sorte. Ce genre de salles, de cafés, on en trouve beaucoup en province et on n’hésite pas à s’y arrêter au long de la route, entre deux grosses dates. Après tout, c’est comme ça qu’on a commencé à Montreuil, dans des petits cafés. On en parle souvent avec Kik et on a vraiment envie de continuer à le faire, de montrer ce qui évolue musicalement tout en gardant cette accessibilité et cette proximité. »

Barbara sous la pluie

Visten « Fatcircle » Johnny Montreuil © Bertrand Noël
Visten « Fatcircle » © Bertrand Noël

Il pleuvait sans cesse sur Montreuil ce jour-là et il a fallut bien interrompre la conversation, se décider à quitter la lumière chaude du chapiteau et la table devant la caravane. Mais heureusement vint le soir, à La Comedia, une foule épanouie, ravie, ruisselante, s’était donnée rendez-vous. On a crié, on a dansé, on a bu, on a ri : on a même cru voir Riton et les gars de Santec, oui, ceux des Dunes**, je te jure que c’est vrai ! Kik avait dégainé ses harmonicas, Barbara son vison, elle faisait sa fière, la sale bête ! La bière n’était plus très fraîche, le public non plus, un peu plus, on frôlait la baston : ah que c’était bon ! Allez chauffe Johnny, cogne sur ta contrebasse, Montreuil te dit merci !

Johnny Montreuil Johnny Montreuil © Bertrand Noël
Johnny Montreuil © Bertrand Noël

Photographies : Bertrand Noël pour HdO

* Cochran, de son vrai nom Thierry Pelletier, a collaboré à Siné Hebdo et a publié Les rois du rock et La petite maison dans la zermi, aux éditions Libertalia

**Restaurant-bar Les Dunes
Plage du Dossen — Face à l’île de Sieck
634, rue Pount ar c’Hantel
29250 SANTEC

→ Pour s’éclater avec Johnny Montreuil en live : le 29/11 à La Rochelle à L’Horizon, le 30/11 à Guyancourt à La Batterie, le 7/12 à Honfleur au Bateau Lune et au 106 à Rouen en 2020.

Le Montreuil de Johnny Montreuil

« Mes endroits préférés ? Les murs à pêches, clairement, du moins les deux petits bouts qui en restent et ma rue, la rue Saint-Antoine, qui est un vestige de ce qui restait de charmant en banlieue dans les années 50-60, quelque chose qui n’aurait pas été envahi par l’urbanisme et le clientélisme galopant ; l’inverse de tout ce qui se passe de dégueulasse en ce moment dans les banlieues populaires. Moi, j’aime bien traîner dans les rues à vélo, visiter des ruelles pleine de charme. Sinon, il y a un endroit que je conseille à tout le monde, c’est la rue Désiré Chareton et la brasserie Croix de Chavaux qui vient d’ouvrir, on peut s’y procurer une bière artisanale fabriquée à Montreuil. Et bien sûr, il y a aussi la brasserie La Montreuilloise, juste derrière. »

A déguster en écoutant Johnny

« Un bon barbuc tout simple, qui peut se manger et se préparer dehors, au soleil ! » C’est ce qu’on fait le plus souvent à la caravane, ce qu’il y a de meilleur : des brochettes, des viandes bien marinées, des pommes de terre, des amis, du bon vin ; du pastaga en apéro avec des cacahuètes, c’est ça la vie ! »