Jozef Van Wissem : Confidences Ex-Mortis

Elargir la palette du luth, instrument encore aujourd’hui assimilé à la musique ancienne, comme l’on déclinerait à l’infini une nature morte pour la transformer en peinture contemporaine, voilà ce qui vient à l’esprit à l’écoute du nouvel album de Jozef Van Wissem, Ex-Mortis.

Adepte d’un silence signifiant, de répétitions hypnotiques et de partitions aussi âpres qu’introspectives, Jozef Van Wissem, joueur de luth et compositeur hollandais – dont des musiques de films comme la superbe bande-son d’Only Lovers Left Alive de Jim Jarmusch, pour laquelle il fut d’ailleurs primé – bâtit au fil des albums une œuvre ascétique et cohérente.

Dans Ex-Mortis, le sens du mystique y est d’ailleurs indéniable, surtout lorsque l’on en connaît la source d’inspiration principale, The Book of Gostlye Grace*, livre écrit par une religieuse et parcouru de visions charnelles. Il ne nous appartient pas ici de débattre si les images utilisées par ces religieuses vivant en recluses sont le fruit de la grâce ou des tourments d’un douloureux isolement, mais comme nous le confie lui-même Jozef Van Wissem : « Ce livre, que j’ai trouvé à la suite de recherches, traite de la relation intense entre une nonne et Dieu. Cette relation est religieuse mais demeure celle d’une femme avec un homme. Après tout, ces femmes n’avaient d’autre choix que d’entrer au monastère, c’était ça ou mourir de faim… »

Jozef Van Wissem -  Ex-Mortis
Jozef Van Wissem — Ex-Mortis

Et sans doute, le silence, l’air qui circule entre les notes d’un titre comme You Are In Me And I Am In You Eternally – la citation est de la Sainte – n’ont rien à envier à un discours amoureux entamé avec « un jeune homme de haute taille, de vive allure et d’une grande beauté, portant une ceinture tissée de soie rouge, verte et blanche », qu’on le nomme ou non. Au fil de l’album, les notes s’égrenent comme gouttes d’eau ou perles de rosaire, un titre comme Concerning The Souls Of The Departed en est d’ailleurs la plus parfaite illustration. Il n’y a rien ou presque, qu’un fil ténu de pincements de cordes, car si pour Van Wissem, « le terme de musique minimaliste est aujourd’hui galvaudé, il est néanmoins plus intéressant pour moi de n’utiliser que deux cordes pendant une heure plutôt que d’exécuter mille notes en une minute ». La chronique est presque faite, il ne me reste presque rien à ajouter.

Si ce n’est que cet « outrenoir », que j’emprunte délibérément à Soulages, pourrait s’avérer un exercice périlleux à la première écoute. L’épure, souvent hypnotique, l’infime sensation – pour paraphraser cette fois une consœur – est délicate lorsqu’elle n’est pas accessible en live, où, et c’est Jozef Van Wissem qui le dit, « dans certains concerts, parfois, les auditeurs ferment les yeux, c’est parfait ». Heureusement, la voix s’en mèle. La sienne tout d’abord, très grave, qui se superpose au luth, « cet instrument plutôt complet qui ressemble à un grand piano », et qui fait que « l’on n’a besoin de rien d’autre », si ce n’est quelques percussions, des nappes de synthétiseurs – parfois -, et des featurings pour le moins originaux comme celui de Thor, le percussionniste du groupe Swans.

En effet, ce joueur de luth atypique, autrefois propriétaire d’un bar et adepte d’une vie survoltée, que l’on imagine désormais calme et solitaire (mais l’on se trompe peut-être…), invite sur Ex-Mortis des participants parfois inattendus. Nikolaï Komiagin tout d’abord, le chanteur de Shortparis – décidément ! — qui pose sa voix lyrique et haut perchée sur l’envoûtant Cold Corpse. Une rencontre impromptue due à la curiosité de l’un et à la témérité de l’autre : « J’ai rencontré Nikolaï quand il a plongé sur moi de la scène lors d’un concert à Varsovie. Lorsque j’ai été lui parler après coup, il m’a dit qu’il avait vu un de mes spectacles en Russie ; Nikolaï est électrique… ». A croire que le luth, lui-aussi, aime l’électricité.

Mais c’est lorsqu’il parle de Jarboe que Jozef Van Wissem semble le plus inspiré. « J’ai vu jouer Jarboe en live avec Swans dans les années 80. Le projet d’elle que je préfère, c’est SKIN, où figurent principalement des morceaux acoustiques très intenses. Tout ça composait la bande-son de mes nuits de débauche quand je vivais aux Pays-Bas. Je suis profondément honoré qu’elle chante sur l’un de mes morceaux, c’est un rêve qui devient réalité ». Et c’est elle logiquement qui pose sa voix sur un Vox Populi, Vox Dei en apesanteur. Voix de dieu, voix du peuple : le message est politique, la musique atmosphérique.

Ex-Mortis, Still Life. L’inscription gravée sur le luth qui servit à enregistrer l’album dit paradoxalement vrai : le luth est toujours vivant.

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→ A découvrir pour comprendre l’univers musical de Jozef Van Wissem

— Henning Christiansen, du mouvement Fluxus
— John Cage
— Reinier van Houdt

Jozef Van Wissem sera en tournée le 22 février 2020 à Leipzig, à la Tabačka Kulturfabrik à Kosice (Slovaquie), le 12 mars au Zukunft am Ostkreuz à Berlin, et le 15 mai au Control Club à Bucarest en Roumanie.

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*Le Livre de la Grâce Spéciale, Révélations de Sainte-Mechtilde, de Gertrude de Helfta.