Jour 2 à Rock en Seine : bis

Ou « Comment devenir musclée, sourde, heureuse et enragée en une seule journée »

14h : Nous voilà dans le saint des saints, l’espace VIP de Rock en Seine. Peu de monde encore, un parterre clairsemé. On sent que la nuit a été longue mais ça ne va pas durer…

Rock en Seine 2013 - La FemmeTiens, voici La Femme ou du moins deux de ses représentants. Un garçon, une fille, pour un groupe qui se veut « plus féminin que féministe ». Look, look, look : on se la joue jeune (et on l’est, indéniablement), cool et presque cynique (déjà ?) façon dandy ludique. Pour eux, Rock en Seine, c’est « un peu la rentrée des classes ». C’est bien le mot. L’album de La Femme, Psycho Tropical Berlin ? « Tropical, à cause des percus, pour le côté plage », d’après eux un mélange de « plus tendax, plus relax, plus psycho » où les textes ne sont « pas juste un prétexte » mais viennent après la musique. Leur rêve ? Porter un jean moulax ? Non, ça c’est déjà fait apparemment… Plutôt « jouer dans cette incroyable salle de boxe à Saint Nazaire qui ressemble à une soucoupe volante », pourquoi pas « faire un film », mais surtout continuer à imaginer « des ambiances, des situations » pour leurs clips. Ils promettent d’ailleurs quelque chose de « transsibérien » pour Packshot et une vidéo façon « Apocalyspe Now ». Info ou intox, ça reste  voir.

Sur scène, malgré une foule – très – compacte, je suis moins convaincue. Oui il y a de l’énergie, oui il y a du show mais le côté hipster noisy ne sied pas forcément à ces titres marinés à la sauce eighties. Mais visiblement, le public s’en fout et c’est tant mieux.

De Patrice, on retiendra le sourire et l’enthousiasme qu’il a pour présenter son nouvel album The Rising of The Son : « My best performance ever will be tonight I guess » (mon meilleur show ce sera ce soir !) et les artistes qui interviennent sur son album, Selah Sue, Cody ChesnuTT et Busy Signal, qu’il produit. Un côté solaire qui emportera le morceau auprès d’une foule conquise d’avance, n’est-ce pas les filles ? Et qu’on se le dise, Patrice est ouvert à de nouvelles expériences : « I don’t see genres or frontiers really, I’m opened to every kind of music… When I started to play the guitar, I played Led Zeppelin, Guns’n Roses, etc… I’d like to create a super groupe… even to do punk rock, really…” (Les genres musicaux, les étiquettes, n’existent pas à mes yeux, je suis ouvert à tous les genres de musique… Je me vois bien créer un super groupe… Et même faire du punk rock, vraiment…).

16h45 : Eugene McGuiness surprend tant sa pop jouissive adopte sur scène un parti pris musclé. A trop s’approcher de la scène, nous voilà déjà les oreilles en miettes. D’où le dilemme, Black Rebel Motorcycle Club ou Nine Inch Nails ? Faire Rock en Seine, c’est penser stratégie, au risque de finir sur un brancard de la Croix Rouge, et ça, on n’y tient pas trop. En attendant, et pour se décider, slalom au pas de course vers la scène Pression Live, souvent l’une des plus intéressantes. Là, on retrouve Laura Mvula qui, quelques heures auparavant, donnait une interview sur France Inter, évoquant vocalement à la fois Joni Mitchell et Nina Simone : mélancolie, douceur et recueillement. Mais la voilà sur scène, superbe. Là, c’est une Laura complètement différente qui s’ouvre à n’en plus finir : hauts hauts talons, anneaux d’or aux oreilles, sourire si lumineux qu’on le voit du bout de la pelouse. C’est soul, ample, inspiré. Sing To The Moon, c’est le nom de son nouvel album… Fly me to the moon Laura, yeah !

20h : Arrêt agréablement surprenant à l’exposition Rock’Art dont on avait déjà pu avoir un aperçu avec les affiches du métro. Original et créatif, les illustrateurs livrent leur interprétation graphique de la programmation et ça mérite plus qu’un coup d’œil.

20h30 : Allez, marathon en sens inverse ! C’est décidé, ce sera NIN ou rien. « Trent, Trent,Trent !! » scande un type derrière moi. On a eu beau courir, impossible de s’approcher de la scène. Ils doivent bien être 20 000 à être venus voir ça et certains font peur. Mais le voilà, Trent Reznor est là ! Bon sang, mais qu’est-ce qui lui est arrivé ? J’avais beau le savoir, je ne m’y fais pas. Fini l’époque Perfect Drug, 15 ans ont passé et c’est un Trent Reznor bodybuildé, presque méconnaissable, qui chante ou hurle à la mort. Pour le reste, rien n’a changé et NIN reste un monument du genre ; entre transe extatique et explosion de saine violence, les effets commencent à se faire sentir autour de moi : c’est infernal, au sens premier du terme. Emilie tente « le terrain » et risque de se faire broyer en voulant s’approcher. Il faut dire que la performance est indéniablement puissante et que Reznor donne le meilleur de lui-même sur des titres comme Closer ou sur les extraits du très attendu Hesitation Marks. La nuit est tombée et ça sent le foin coupé, qu’est-ce qu’on fait ?

22h : On galope à nouveau à l’autre bout du parc. On a bien du marcher — et courir — nos 15 kilomètres dans la journée, ça devient de la folie. Du coup on s’écroule littéralement devant la jolie Valerie June et son parti pris intimiste. Guitare électrique, banjo, formation restreinte, la sirène du Mississipi n’a décidément aucun mal à nous inciter à nous trouver « the most beautiful woman in the world », quoique pour nous, ça devient difficile… Et alors qu’elle entonne l’imparable You Can’t Be Told, des voix masculines crient « Je t’aiiiiiime ». Elle, Laura, ça la fait sourire, ce soir c’est une Workin’Woman qui n’a plus le Blues.

Bon, et Fauve dans tout ça ? Je crois que le temps est venu que je vous fasse une confession. Fauve, c’est avant tout Emilie, moi j’ai toujours eu du mal à accrocher. La faute sans doute à un certain côté théâtral, à cette révolte parlée – très française, très littéraire au fond – qui me met mal à l’aise. Et pourtant, lorsque le collectif est apparu sur scène et que le chanteur a bondi, propulsé par d’invisibles ressorts et s’est mis à gueuler, je me suis sentie comme soulagée. Non, ce n’est pas de la révolte à deux balles, il y a de la sincérité là-dedans et OUI, on est des milliers à avoir souvent envie d’hurler, vomir et tout casser et même si tout ça a encore un côté adolescent, parfois maladroit, souvent emballé, Fauve c’est une foule qui gronde et qui crie qu’elle a peur mais qu’elle ira quand même.

1h30 : Sauf que la foule, Paris, elle te mettra à sac un jour, toi et ta RATP soi-disant partenaire de Rock en Seine — qui envoie ses contrôleurs pour emmerder des mômes qui n’ont pas leur billet alors qu’on se retrouve parqués comme du bétail prêt à étouffer, traités comme des chiens qui finiront à pied. Il pleut, toute la misère du monde fait retomber le moment de grâce comme un soufflé. « Mais arrête de me dire de ne pas m’énerver putain. Ouais ça sert à rien, OUAIS. Ouais ça sert à rien mais ça fait du bien tu vois. Surtout qu’on sait faire que ça : gueuler ! »*

*Fauve. Haut les cœurs, extrait de l’album Blizzard