José Mauro — Obnoxius | Le grenier d’HdO #2

Pour atteindre ce grenier-là, il vous faudra déambuler dans le quartier de Santa-Teresa, puis emprunter une rue menant au Corcovado. Marchez à l’ombre moite des palmiers, appelez le chat aux yeux verts qui ne vous répondra pas et là, au crépuscule, vous verrez briller les fenêtres de la maison illuminée, Cancao da casa illuminada. Arrêtez-vous, c’est celle de José Mauro.

Plan subjectif

La porte claque, un jeune homme, mince, chevelure sombre, en sort et enfourche sa moto. Il a rendez-vous avec Roberto Quartin, fondateur du label du même nom et il est en retard. Nous sommes en 1970 et José Mauro, artiste prometteur, achève Obnoxius, son premier véritable album. Obnoxius : « qui est coupable, soumis au mal ». José Mauro ajuste son casque, écrase le mégot de sa cigarette, caresse involontairement le collier de corne qu’il porte sous sa chemise bleue et appuie sur la pédale.

« La musique est un talisman », se plait-il à répéter à la toute jeune Ana Maria Bahiana, avec qui il a co-écrit l’album. A l’autre bout de la ville, Ana ferme la fenêtre et met sur la platine un disque de Jimi Hendrix, pas trop fort. En ces temps troublés, on ne sait jamais. José Mauro chantonne la ligne mélodique si triste, presque monotone, d’Arrail Da Lua Cheia. La pleine lune se reflète dans l’eau entre les collines et l’archange de l’Apocalipse ouvre les bras ; la moto fait une embardée. Voilà pour la légende.

José Mauro
José Mauro

Fondu au noir

On prend peu de risque à affirmer qu’Obnoxius est le chef d’œuvre caché d’une musique brésilienne pourtant déjà riche et foisonnante. Un objet unique, hors norme, qui ne pourrait se comparer qu’aux fulgurances d’un Nick Drake ou d’un Scott Walker à la même époque, s’ils n’étaient les dignes représentants d’une musique purement occidentale.

Tout dans ce disque, les arrangements de Lindolfo Gaya, complexes et inventifs, la voix de José Mauro, entre berceuse et incantation, les textes, inquiétants et subtils, tout participe d’une vision, au sens mystique du terme, qui contribue à une impression peu commune d’urgence onirique.

Nuit américaine

Devant les fenêtres illuminées, vous n’avez pas bougé. Une ombre passe derrière la vitre et vous n’osez plus respirer. Est-ce un rêve ? Il vous semble entendre quelqu’un réciter le Kyrie eleison — « Seigneur, prends pitié » — et l’odeur des fleurs de ce soir d’été, si forte, vous gonfle le cœur de reconnaissance. Vous caressez machinalement la pochette de cet Obnoxius que vous tenez sous le bras et qui a guidé vos pas, incapable de sonner.

Car le scénario du film a changé. José Mauro n’est pas mort ; il vit toujours ici, à Rio. La dictature, puis le temps, ont enveloppé son œuvre d’obscurité, contribuant au mythe, réinventant l’histoire. Mais la vérité est bien là, dans ces onze titres* aussi exaltants qu’insaisissables. Ne vous reste plus qu’à les écouter, heureux comme pour une nuit de noces. Tardes De Nupcias.

*Il existe un autre album de José Mauro, A Viagem Das Horas, pour le moment introuvable, qui compile quelques morceaux d’Obnoxius ainsi que d’autres titres, d’une qualité toute aussi exceptionnelle.

José Mauro – Obnoxius – Far Out Recordings – Réédition : 2016

Note de la rédaction : Si quelqu’un de l’entourage de José Mauro venait à lire cet article, qu’il n’hésite pas à nous contacter, nous serions ravis de rentrer en contact avec ce grand artiste.