Interview Facteurs Chevaux : de la musique avant toute chose !

Ce n’est pas dans une clairière mais à La Boule Noire, en plein Paris, que nous avons découvert Facteurs Chevaux sur scène pour la première fois. Plus inspirés d’habitude par la nature que par les salles de concert ordinaires, Sammy Decoster et Fabien Guidollet ont su pourtant nous emporter dans leur folk rêveur grâce à leur duo de voix mêlées encore plus fascinante en live que sur disque. A nous surprendre aussi en descendant de scène pour rejoindre le public, guitare à la main. Pour décloisonner, ouvrir l’espace et jouer en liberté, comme lorsqu’ils chantent en plein air. Une liberté qu’ils ont défendue avec vigueur lors notre rencontre, bien décidés à ne pas se laisser enfermer dans la moindre idée toute faite. 

www.horsdoeuvre.fr : Vous êtes de retour, ce soir, à La Boule Noire, dans une salle plutôt classique alors que vous donnez en général des concerts dans des lieux atypiques. Comment avez-vous vécu cette soirée ?

Fabien Guidollet : Ce concert aurait dû avoir lieu il y a quelques mois et a été repoussé à cause du Covid. Il prend peut-être une forme un peu classique à vos yeux, mais pour nous c’est un moment particulier et important. Il marque la sortie de notre deuxième album. Mais c’est vrai que l’essentiel de nos concerts se fait hors-salle. Plutôt à la campagne, dans des villages pour des associations ou dans des lieux patrimoniaux, à la montagne dans des refuges, ou bien dans des églises et des musées…. Et même des pompes funèbres !

Sammy Decoster : C’est vrai que l’on redoute toujours un peu le côté « boîte noire insonorisée ». On a pris le parti sur ce projet d’aller jouer dans des lieux atypiques, qui ont une certaine résonnance acoustique. Et qui favorise la rencontre avec le public. Le fait de jouer dans des salles, à priori, on est moins fan. Mais des concerts comme celui de ce soir, où j’ai réussi à retrouver la même bulle, les mêmes paysages, la même ambiance que dans des lieux reculés en Ardèche, sont pour moi plutôt réussis.

Fabien Guidollet : On aime bien jouer avec le son des murs, comme ce peut être le cas dans une église. Ici ce n’est pas possible, on ne peut jamais vraiment s’éloigner du micro. D’habitude, on peut aller se mêler au public et on continue à nous entendre parce que cela résonne. Ici tu fais trois pas sur le côté et il n’y plus de son !

HdO : En extérieur, est-ce que les sons de la nature que vous pouvez entendre ont une influence sur votre façon de jouer ?

Fabien Guidollet : Les concerts en forêt, lorsque l’on joue à la tombée de la nuit sous les arbres, créent un climat propice au rêve. C’est un peu comme lorsque l’on ferme les yeux pour écouter de la musique.

Sammy Decoster : Notre univers est né dans un petit village d’Isère de 400 habitants où il y avait une certaine atmosphère. Quand on arrive à retrouver cette ambiance pendant nos concerts, c’est comme un retour aux sources dans lequel je me sens bien. Dans les salles, c’est parfois techniquement plus limité et un peu trop mécanique pour la musique que l’on propose. Cela nous limite dans d’autres formes de liberté, comme celle de pouvoir aller chanter parmi les gens. Mais c’est un challenge aussi de retrouver la liberté, la convivialité et cette ambiance propice à la rêverie, dans un lieu qui ne favorise a priori pas ça. Cela dit, je n’aimerais pas spécialement faire une tournée de salles de ce type.

HdO : Votre univers, dites-vous, est né dans un petit village, mais vous vous connaissiez musicalement auparavant. Comment est né le projet Facteurs Chevaux ?

Sammy Decoster : On se connaissait déjà musicalement parce que j’ai contribué au projet de Fabien, Verone. On savait que nos voix s’accordaient bien. Comme nous sommes tous les deux auteurs-compositeurs, nous avons eu envie d’écrire des chansons ensemble. Sur le premier album, La maison sous les eaux, on se retrouvait essentiellement pour enregistrer. Il y avait peut-être un peu plus de choses que l’on faisait chacun de notre côté. Sur le dernier disque, Chante-Nuit, on a vraiment pris le temps de se retrouver au Palais Idéal du Facteur Cheval, ce qui nous a amené à écrire comme on joue au ping-pong. A partir d’une intro, d’une bribe de mélodie, on avançait ensemble, en faisant une sorte de cadavre exquis. Pour ça, il faut bien se connaître et qu’il y ait un peu de magie !

Fabien Guidollet : Cela crée quelque chose qu’aucun de nous ne pourrait faire tout seul, comme si l’on formait une troisième personne.

HdO : L’univers du Facteur Cheval, cela vous parle vraiment ? Ou bien vous avez choisi le nom de votre duo par hasard ?

Fabien Guidollet : On ne connaissait pas spécialement le Facteur Cheval.  Nous avons fait une résidence au Palais Idéal où l’on a écrit quelques morceaux. C’est un lieu très inspirant mais je me sens très éloigné du Facteur Cheval. On était logé dans sa maison, à côté du petit musée où il y a des objets et des textes sur lui. C’est quelqu’un qui a passé 30 années de sa vie à construire ce lieu. Il a survécu à tous ses enfants et ses deux femmes, menant la vie assez dure à son entourage. Sa famille a beaucoup souffert de sa folie.

Sammy Decoster : Le point commun que nous avons avec lui, c’est que pour concevoir notre musique, nous allons glaner nos mélodies et nos textes dans la campagne, comme le Facteur Cheval allait y chercher ses pierres de jour comme de nuit pour construire son palais.

Facteurs Chevaux © Guendalina Flamini

HdO : Vos textes sont très poétiques, ce qui nous amène à nous demander quelles sont vos influences littéraires ?

Sammy Decoster : Nous ne sommes pas des écrivains, mais des musiciens. Nous sommes l’un et l’autre plus influencés par la musique mélodieuse que par la chanson à texte. Cela correspond à la démarche du projet. Les textes viennent pour appuyer une dimension qui est déjà dans la musique. On parle plus musique que de littérature et nos influences sont profondément musicales.

Fabien Guidollet : La notion de poésie me fait peur, cela limite le champ d’action de la musique, cela recrée cette division texte /musique. Nous disons quelque chose dans la façon dont nous jouons notre musique, dans le choix des lieux où nous nous produisons. Cela a un sens artistique qui dépasse le contenu musical et textuel. Le poème pour moi, c’est un bouquin que l’on met sur une étagère et j’espère que l’on est plus dans l’action que ça !

Sammy Decoster : Le côté poétique qui se dégage de nos chansons, c’est finalement l’alchimie de nos deux personnalités, de nos deux voix. On ne prend pas les auditeurs par la main, avec une histoire qui a un début et une fin parce que ce n’est pas notre culture. On est plus dans l’image, la suggestion d’émotion, que dans la narration. Je me souviens qu’enfant, j’écoutais essentiellement de la musique anglo-saxonne et je ne comprenais rien aux textes. Quand j’ai fini par les comprendre, j’ai parfois été déçu. Je préférais me créer mes propres images ; je comprenais deux/trois mots puis je rêvais.

HdO : Qu’est-ce qui vous rapproche musicalement ?

Sammy Decoster : Nous avons des influences communes comme The Byrds, The Everly Brothers, Simon and Garfunkel, Crosby, Stills, Nash and Young. La musique à plusieurs voix des années 1950/60/70 en somme. C’est un peu le fondement du projet, d’enregistrer notre musique telle qu’elle était faite à cette époque. On a pris le parti de tout enregistrer en direct, sans que cela soit monté sur ordinateur. On est moins dans la démarche actuelle d’enregistrer piste par piste, couche par couche, même si cela pourrait arriver un jour, on ne se met pas de barrières. On voulait que le disque se passe devant les micros, pas après. Avec une très faible marge de manœuvre, en misant tout sur l’émotion et sur l’alchimie entre nous deux.

Fabien Guidollet : Il faut que les deux voix soient chantées ensemble. On n’enregistre pas chacun dans notre coin. Peu importe comment la prise de son est faite, si on ne chante pas en même temps, ça ne marche pas. Aujourd’hui, il y a peu de disques enregistrés de cette façon. Il y a des groupes américains qui fonctionnent comme ça, comme The Fleet Foxes, très proches de la musique folk californienne des années 1960.

Sammy Decoster : Le challenge aussi pour nous, c’était de mêler la langue française à nos influences musicales essentiellement anglo-saxonnes.

Fabien Guidollet : En France, une partie des amateurs de folk écoutent de la musique anglo-saxonne et vont donc nous regarder avec méfiance parce notre musique est francophone. Et les amateurs de chansons vont aussi nous regarder un peu de travers parce que notre musique est anglophone de cœur. Ma culture musicale, c’est plus la musique celtique que Georges Brassens.

Sammy Decoster : J’ai eu ma petite période Brassens, j’aime son côté minimaliste à la guitare, la voix, ça me touche.

Fabien Guidollet : Je dois avoir un de ses albums à la maison, je vais te l’offrir !

HdO : Vous avez l’un et l’autre plusieurs projets musicaux. Comment se fait-il que vous multipliez autant de projets ?

Fabien Guidollet : C’est une façon de se nourrir, de s’aérer, de s’influencer ou d’aider. On n’en a pas 50 non plus !  Il y a plusieurs années, on avait tendance à se regrouper, on constituait des formations de 5 personnes. Aujourd’hui on est sur des formations plus resserrées, il y a 2/3 personnes sur le plateau, pas plus. On va plus loin sur les projets, on est plus à nu quand on est moins nombreux. Quand la chanson est mauvaise ça se voit tout de suite, alors qu’à 4/5 personnes, cela passe.

HdO : Pas de Facteurs Chevaux qui pourrait devenir symphonique alors ?

Fabien Guidollet : Sur le premier disque, on avait essayé d’ajouter des arrangements et des cordes, mais c’est mieux finalement de les entendre sans les mettre.

Sammy Decoster : On préfère garder des notes fantomatiques que l’auditeur peut entendre éventuellement, les suggérer plutôt que de les imposer. On ne sait pas jusqu’à quand on conservera cette formule.

Fabien Guidollet : On écoutait récemment Tír na nÓg, un duo folk irlandais de la fin des années 1960, qui joue toujours. Ils ont essayé de faire des morceaux plus conventionnels avec des formations complètes et ces morceaux me hérissent. Il ne faut pas avoir peur du vide, il y a une beauté dans l’épure.

Sammy Decoster : Etre à deux, cela oblige vraiment à se dépasser. A aller puiser au maximum dans nos tessitures vocales. On ne l’aurait pas fait s’il y avait eu un troisième chanteur ou un autre guitariste.

HdO : Qu’est-ce que vous vous apportez l’un à l’autre ?

Fabien Guidollet : Nos personnalités sont très différentes. Cela apporte une complémentarité au niveau du son des voix, de notre façon d’écrire, de composer et de jouer.

Sammy Decoster : Même si nous avons des influences communes, j’ai, pour ma part, écouté énormément de vieux blues, je m’y reconnais vraiment. Fabien, lui, est très branché harmonies vocales. Ces influences musicales parfois distinctes ont aussi beaucoup apporté au projet.

Votre musique est souvent considérée comme étrange, originale.  Et vous comment la percevez-vous ?

Sammy Decoster : C’est qualifié d’étrange alors qu’il n’y a rien de plus basique qu’une guitare acoustique et des voix ! Ce qui passe à la radio, avec des voix trafiquées, c’est presque plus étrange. Certains de nos textes amènent à réfléchir sur soi-même. Ce n’est pas une musique millimétrée que tu peux mettre en fond sonore pendant l’apéro. Il faut vraiment rentrer dedans. Ce que fait très bien le public lors de nos concerts d’ailleurs.

Fabien Guidollet : Ce n’est pas un mal d’être un peu décalé. Ce n’est pas très intéressant de refaire ce que tout le monde a déjà fait de la même façon. C’est bien de déranger un peu. Notre façon de faire, les lieux où l’on joue, oui c’est décalé. Mais je ne vois pas en quoi notre musique serait décalée.

Sammy Decoster : Ce n’est pas calculé en tout cas, on ne s’est pas dit, « tiens on va faire un folk étrange » !

Fabien Guidollet : Est-ce que ce n’est pas juste une question d’image ? Des mecs qui jouent dans des grottes cela peut sembler étrange. Notre image décalée s’est faite comme ça. On peut ensuite en être prisonniers.

Sammy Decoster : Il y a de l’étrangeté peut-être, mais il y a aussi la possibilité de s’approprier nos textes. On nous a dit une fois que notre chanson « Le village » évoquait très certainement un village englouti par les eaux situé non loin du lieu où nous donnions notre concert. Alors que ce n’est pas le cas. La chanson était devenue ainsi une espèce de légende rurale qui faisait sens pour les gens. Notre musique peut donc paraître étrange pour certaines personnes et pour d’autres, elle leur parle directement. Cela me touche parce que chacun y voit des choses très personnelles et peut s’y reconnaître, ce qui est l’essence même de la musique.

Prochain concert de Facteurs Chevaux le 28 novembre à la Chapelle Saint-Louise de Pittefeux (62)

Page Facebook de Facteurs Chevaux

Photos : Guendalina Flamini
@guendalinaflamini

Relire notre chronique de Chante-Nuit