Expo Claire Bretécher à Beaubourg

Le Festival d’Angoulême s’est embourbé dans une drôle de polémique ces derniers jours en ne proposant aucun nom féminin dans sa sélection de nominés au Grand Prix. Il ne semble donc pas totalement inutile de rappeler qu’il existe bien des femmes dans le milieu très masculin de la BD et que, cerise sur le gâteau, elles sont très talentueuses. Un exemple éclatant ? Sans doute la plus emblématique des auteures : Claire BRETECHER. La BPI à Beaubourg lui consacre une très chouette expo à voir jusqu’au 8 février.

Une découverte d’enfance

Curieusement, c’est à l’âge où l’on lit les gentils et consensuels Boule & Bill et les mielleux  et irritants Schtroumpfs que j’ai été irrépressiblement attiré par les dessins de Claire Bretécher. Il faut dire que les albums des Frustrés traînaient dans la bibliothèque familiale, entre la collection des Astérix et celle des Tintin. Bien sûr, je n’y comprenais rigoureusement que dalle. Sans doute, est-ce là d’ailleurs le véritable génie d’un dessinateur de BD : réussir à faire marrer un enfant de sept-huit ans avec des histoires pourtant bien verbeuses de post soixante-huitards névrosés ! Ce n’est qu’à l’adolescence — avec également la découverte d’Agrippine et de son langage improbable qui m’interpellait directement -, que j’ai pu véritablement apprécier l’humour irrésistible et décapant des Frustrés.

Les Mères, 1982 © Claire Bretécher-Dargaud

Une interprète de son époque

Esquisse pour la couverture de l’album Les Frustrés, 1975 © Claire Bretécher

Son trait, simple et fluide, et son talent de scénariste croquent les mœurs de ses contemporains avec une férocité à la fois drôle et tendre. On est sidérés de voir que plus de 40 ans après, Les Frustrés (1974-80) restent d’une étonnante modernité. Ces intellectuels qui boivent du thé dans des « théières de gauche » (car achetées aux Puces), qui profitent des vacances pour relire l’intégralité de Proust ou de Barthes (!!), font des psychanalyses inutiles («normalement, on devrait être anormales»), et mettent des plombes à garer leur bagnole dans ce putain de Paris, qui sont-ils à part les bobos de 2016 ? C’est à dire nous-mêmes, c’est à dire Bretécher elle-même ? Le reflet de notre vie à la fois vaine et drôle de Parisien empêtré dans ses contradictions, entre valeurs idéologiques et quotidien fadasse. On reste également soufflés par la créativité du langage ado de la tête-à-claque — mais attachante -, Agrippine (1988-2001), purement inventé donc totalement intemporel. Un tour de force pour représenter l’archétype insaisissable de l’adolescente.

Une rétrospective en trois parties

La première partie tente de cerner un peu Claire Bretécher, personnage pourtant mystérieux. La deuxième partie s’attache aux liens de Claire Bretécher avec la presse : Le Nouvel Observateur, bien sûr. Sa collaboration avec l’Obs dure près de 35 ans, et donne naissance à Agrippine, Les Frustrés, Docteur Ventouse, Thérèse d’Avila… Mais aussi avec l’Echo des Savanes, et de sa propre aventure quand elle se lance très tôt (dès 1975) dans l’autoédition, lassée par le paternalisme et le machisme des éditeurs. Enfin la troisième partie s’articule autour de ses sujets de prédilections : les relations sociales, sexuelles, hommes-femmes, l’adolescence, la libération des mœurs, la famille, le féminisme… avec un nombre important de planches exposées. On sourit beaucoup, on rit souvent, on s’amuse toujours, vous l’aurez compris, c’est à voir !

Le Docteur Ventouse, bobologue, 1985 © Claire Bretécher-Dargaud

Bibliothèque Publique d’Information (BPI), Centre Pompidou, niveau 2. Entrée libre. Jusqu’au 8 février 2016.