Rover : Reel To Reel

Il m’aura fallu plusieurs jours pour écouter Reel To Reel, l’album bonus du coffret de Rover sorti en décembre 2013. Pourquoi ? Par habitude, par lassitude : la plupart des « coffrets collector » ne valent en général pas tripette, énièmes pièges commerciaux pour fans en manque de nouveautés. Erreur, redoutable erreur ! Il ne s’agit pas d’un ersatz, d’un rogaton de studio, mais bien d’une perle, d’un disque à part entière, d’une véritable révélation.

Bien que frappée par le potentiel de son premier album éponyme, convaincue de l’épaisseur du personnage pour l’avoir rencontré et vu à plusieurs reprises sur scène, il m’a toujours semblé qu’il manquait « un petit je ne sais quoi » à Rover, mais quoi ? Maintenant, je le sais…

Rover - Reel to ReelDès Wedding Bells, introduction de ce Reel To Reel, disque 2 présentant des versions « alternatives » de ses compositions, un frisson vous parcourt l’échine, un froissement à la racine des cheveux. Ce qu’il manquait à Rover, c’est la distorsion. Étrange, Rover l’a toujours été. Un disque « pop », des influences évidemment rock, une voix hors norme, oscillant le grave et l’aigüe, entre laideur et beauté : tout concordait pour en faire un O.M.N.I (objet musical non identifié) tout en lui conférant les caractéristiques propres à un produit léché et judicieusement marketé. Ici, portée par des glissandos de cordes, épurée jusqu’à l’extrême – on entend parfois le crissement de la guitare, le souffle de la respiration – et dépouillée de ses oripeaux pop, la musique de Rover se libère, crépusculaire et lumineuse, évident paradoxe.

A elle seule, la version de Late Night Love, évoquant le fantôme de la musique répétitive du 20ème siècle (Michael Nyman, Philip Glass), avec ses voix féminines haletantes, en est une preuve suffisante. Rover a le don de la vision, pas la sienne, mais celle que sa musique prête à l’auditeur. Sur l’album officiel brillaient les lumières de la ville, celles qui se reflètent sur les trottoirs des cités des années 1970, ou 1980, une mélancolie urbaine toute « Smithienne », que l’on me pardonne le néologisme.

Ici règnent des ors baroques, un lyrisme contenu où la voix, instrument démesuré et presque gênant, prend toute son ampleur et trouve sa légitimité, s’appuyant sur le silence, sur l’écho. « Singer In The Dark », ainsi se définit Timothée Régnier dans Full Of Grace et rien n’est plus vrai. Ce que l’on entend dans cette voix, c’est la basse profonde d’un Scott Walker dans Farmer In The City, la déchirure funambule d’Antony Hegarty et l’émotion fragile du Jeff Buckley de Grace même si pour ce dernier, là s’arrête la comparaison.

Champagne, Aqualast, RememberMystérieux et envoûtants, Rover, l’homme, le disque, le personnage, se rejoignent enfin, faisant surgir des architectures sonores presque impalpables, toiles d’araignées diaprées – Silver -, aussi éphémères que délicates. Timothée Régnier n’a décidément rien d’un « géant égoïste », ceux qui ont lu le conte en question comprendront…

Après deux ans d’une tournée monstre, Rover donne un ultime concert le 16 décembre 2013 à l’Athénée, à Paris. Reste à espérer que l’événement sera le prolongement de ce Reel To Reel miraculeux, carte maîtresse d’un temps suspendu où règne, impavide, cette Queen Of The Fools enregistrée à Bourges.

Full Of Grace.

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