Enivrante cave à bulles

Non, la bibine, ce n’est pas juste une bonne vieille Kro un peu tiédasse que l’on siffle sans trop y penser pendant un concert. C’est aussi un produit fin et gastronomique à déguster avec autant d’attention et de respect qu’un grand cru de Bourgogne. Si vous avez encore quelques doutes quant à la noblesse de cette boisson aux saveurs multiples et étonnantes, foncez au plus vite à la Cave à Bulles, à Paris, afin d’y découvrir un trésor unique de bières artisanales, issues de petites brasseries militantes et créatives.

Et ne manquez surtout pas de converser quelques instants avec son fondateur, Simon Thillou, véritable encyclopédie de la binouse, qui ne compte pas son temps pour expliquer à ses clients les spécificités de chacun de ses produits, la différence entre une bière amère et une bière acide, ou leur indiquer quelle bière s’accordera au mieux avec un dessert chocolaté.

C’est afin d’en savoir plus sur sa cave aux bulles aventureuses qu’Hors d’œuvre a rencontré cet expert en blondes amères et brunes fruitées. Deux heures d’entretien passionnantes avec un caviste généreux et engagé dont l’objectif est de promouvoir une bière de qualité au sein d’un lieu convivial où néophytes et initiés trouvent plaisir à mieux connaître cette boisson qui est encore en France « chargée du mépris des plus méprisables cœurs ».

Quand avez-vous fondé La Cave à Bulles ?

J’ai monté la boutique il y a cinq ans. La vocation de la Cave à Bulles est avant tout de promouvoir la bière artisanale hexagonale. Sur les 250 bouteilles en vente, les deux tiers sont françaises. Le but est d’essayer de promouvoir les bières de toutes les régions de France. Parmi les 400 brasseries implantées dans l’Hexagone, j’effectue cependant une sélection et vends des bières provenant de 25 brasseries uniquement. Je privilégie ainsi des bières artisanales issues de petites brasseries locales qui pour la plupart ne filtrent pas, ne pasteurisent pas. Les produits viennent aussi de brasseurs que je connais. Pour moi c’est important, parce que derrière chaque bière, il y a une identité.  Si une bière a tel goût ou tel autre, c’est que le brasseur l’a voulu. Ce n’est pas une question de terroir, de matériel de brassage, encore moins d’eau, rien à voir.

Comme en cuisine, c’est une question d’ingrédients, mais ce qui fait surtout une bière, c’est le choix du brasseur, son savoir-faire. La personnalité d’un brasseur a un impact très net sur la bière. Par ailleurs, la seconde vocation de cette boutique est qu’elle devienne un lieu d’expertise de la bière, un lieu où les passionnés de bière comme les néophytes peuvent se retrouver. Un lieu de convivialité, de rencontre, d’échanges, de transmission des connaissances. Comme le disait Ronny Coutteure, « la bière, c’est de l’amitié liquide » !

Est-ce que l’on peut déguster de la bière à la Cave à Bulles ?

Oui et non. Je suis caviste, j’ai une autorisation de vente d’alcools à emporter, mais je n’ai pas de licence IV donc je ne fais pas de débit. En revanche, j’organise des séances de dégustation commentées. Ces sessions de découverte de la bière, j’y tiens beaucoup et j’en effectue souvent. Je propose aussi des séances dégustation un peu plus poussées, quand j’ai des groupes qui reviennent à plusieurs reprises. J’estime qu’une dégustation est réussie lorsque les gens, après avoir passé une heure et demi dans la boutique et dégusté cinq bières, ressortent de là en ayant appris que les bières brunes ne sont pas plus amères que les bières blondes, qu’il n’y a pas de rapport entre une couleur et une amertume. Lorsqu’ils découvrent que les bières aromatisées ne sont pas plus sucrées que les autres. Et lorsque les participants se disent que non, il n’existe pas qu’un goût unique de bière, mais une vaste gamme de saveurs. Cela m’arrive aussi de convier un brasseur aux séances de dégustation afin qu’il fasse connaître ses produits.

Par ailleurs, j’accueille depuis peu des réunions de brasseurs amateurs. Et le 17 septembre dernier, on a organisé à la Cave à Bulles le « Zwanze Day » avec Cantillon, marque de bière bruxelloise de style lambic très recherchée, très gastronomique. A l’occasion du Zwanze Day, on déguste une Cantillon qu’il n’est possible de boire que ce jour-là, à la même heure, partout dans le monde. Ce genre d’évènement me permet ainsi de proposer un pôle d’expertise et de rassemblement sur la bière en général, au-delà de la bière française.

On a l’impression qu’en France, il est difficile d’imposer l’idée qu’il puisse y avoir une expertise de la bière, cette dernière n’étant pas considérée comme un produit noble, au même titre qu’un grand cru de vin. Comment ça se fait d’après vous ?

 

La France est très en retard là-dessus par rapport à d’autres pays comme la Belgique, les Etats-Unis ou encore l’Italie, qui a pris le tournant de la bière gastronomique sans aucune difficulté. Avec une mentalité radicalement différente, beaucoup moins conservatrice qu’en France, où l’on a du mal à sortir de la sainte Trinité pain-vin-fromage. On a ainsi intégré que le vin rouge par exemple s’associait automatiquement avec le fromage, sans expérimenter d’autres associations. Par ailleurs l’idée que le vin c’est chic et que la bière ou le cidre n’ont pas d’intérêt est un lieu commun très ancré dans les mentalités et qu’il est difficile de bousculer. De plus, il faut rappeler l’énorme poids qu’a en France la bière industrielle. Dans le monde de la bière, vous avez d’un côté, des petits producteurs qui brassent en moyenne 1000 hectolitres par an. De l’autre, vous avez des mastodontes, le secteur de la bière étant le plus concentré des secteurs industriels. Chez Jupiler par exemple, une journée de production correspond à plusieurs années de production d’une brasserie artisanale. Or, il y a autant d’écart entre une grosse brasserie et une petite brasserie en terme de taille qu’en terme de goût. Quand vous allez au supermarché, vous ne trouvez que des Kros, des Heineken…Et c’est tout ! Si vous achetez une bouteille de chaque et que vous les comparez entre elles, vous ne constaterez aucune différence au niveau du goût. Tout cela fait du mal à l’image de la bière. Proposer des produits fades, à dessein, c’est quelque chose de très néfaste. Quant aux petites brasseries qui proposent du goût, elles n’ont pas d’accès à la distribution, à la communication et ne sont pas connues. Pourtant, celui qui veut vraiment déguster des bières artisanales, où qu’il soit en France, il en trouve. Il faut juste un peu les chercher. Sauf que celui qui ne cherche pas ne va jamais savoir que la bière, ça peut avoir du goût.

Quelles sont les caractéristiques des bières artisanales que vous vendez ?

Les bières artisanales sont globalement plus aventureuses. Les brasseurs prennent plus de risques, proposent des goûts plus forts, plus typés. Chez les passionnés de bière, l’amertume est le goût franchement à la mode, même s’il est plus difficile d’accès. Il y a une profusion de bières artisanales extrêmes avec des amertumes surpuissantes.

Pouvez-vous nous présenter quelques unes des bières artisanales en vente à la Cave à Bulles ?

Il y a tout d’abord la Véronique Lucienne, issue de la brasserie Le Paradis et produite par Marjorie Jacobi. Toutes ses bières portent des prénoms de sa famille. Elle brasse 80 hectolitres dans une toute petite brasserie près de Lunéville, en Lorraine. Ses produits sont extraordinaires. C’est quelqu’un qui est aussi très attaché à la présentation, à l’esthétique de ses produits. Il y a aussi CàB 5, la bière qui a été créé pour les cinq ans de la boutique. C’est une bière que j’ai faite de A jusqu’à Z. En A, j’ai réfléchi à la bière que je souhaitais et en Z, j’ai collé les étiquettes dessus ! Entre B et Y, il y a un brasseur professionnel, de l’excellente brasserie Saint Rieul que j’aime beaucoup, et avec laquelle je travaille depuis cinq ans. On a donc pris leur bière de noël, une bière brune avec 8 % d’alcool, très fruitée, très moelleuse, très puissante. On l’a mise dans des tonneaux de vin pour cinq mois. La bière a perdu son suc résiduel, elle est devenue plus sèche, plus boisée, puis elle a pris une très légère touche d’acidité. Enfin, on a rajouté du houblon dans les tonneaux pour équilibrer un peu la bière, afin d’avoir quelque chose de plus frais, de plus vif.

J’apprécie aussi beaucoup La Frappadingue. C’est une bière assez renommée, typiquement dans la mouvance de l’amertume actuelle, avec des notes très fruitées de mangue. Très surprenante.  La brasserie a de plus des étiquettes et des slogans toujours provocants comme « La Frappadingue, la bière qui bourre la gueule » ! J’ai aussi un faible pour la Taras Boulba, une bière belge à 4,5 % d’alcool produite par des gars passionnants et qui vaut le détour. C’est une bière dont l’amertume est franche, puissante et qui est très désaltérante. Au cours d’un repas, cette bière peut se substituer à un trou normand parce qu’elle remet le palais d’aplomb et rince la bouche. Le houblon a par ailleurs des protéines qui stimulent  le travail gastrique et favorisent une meilleure digestion.

Parlant de repas, conseillez-vous à vos clients des accords mets/bières ?

Oui, parce que c’est un sujet qui me passionne, mais cela reste toutefois mes goûts personnels d’accords mets/bières. Cependant, dans les associations mets/bières, on peut déterminer quelques grandes lignes. Comme pour le vin, soit l’on fait des accords qui s’opposent pour s’équilibrer, soit l’on fait des accords ton sur ton. Et de façon générale, on suggère une bière blanche pour accompagner des poissons ou des fromages de chèvre, des bières blondes légères et sèches sur des plats très épicés et des bières blondes plus fortes sur des viandes blanches. On propose aussi des bières ambrées assez puissantes ou des bières brunes sur des viandes rouges, du gibier. Les bières brunes sont également conseillées pour accompagner des fromages persillés. Pour ma part, j’adore associer bière brune et chocolat. C’est un accord ton sur ton, les bières brunes développant souvent des notes liées au monde du chocolat et à la torréfaction. J’aime bien aussi accompagner un bon comté affiné 18 mois avec une Bière de Brie, dont l’amertume va équilibrer le comté. L’association bières / fromages est d’ailleurs un sujet à la mode en ce moment chez les amateurs de bières. Mais ce qui m’a le plus convaincu en terme d’associations mets/bières, c’est lorsque le jour de noël, nous avons dégusté le foie gras de ma mère avec une Bière du Coing. Disponible à partir de fin octobre / début novembre, cette bière est d’une finesse remarquable et avec du foie gras, c’est à se rouler par terre ! En cuisine, la bière est aussi un excellent ingrédient. Une recette que j’adore, ce sont les figues à la Kriek. Vous pelez des figues et les enfournez à 150 degrés pendant une heure puis vous rajoutez un peu de Kriek artisanale tous les quarts d’heure. Les figues vont confire et la Kriek va réduire. Avec une boule de glace vanille, c’est un délice !

Vous qui êtes un passionné de hard rock, auriez-vous des suggestions en matière d’accords bières/musique ?

Il y a certaines brasseries qui conçoivent leurs bières en lien avec une certaine musique. C’est le cas de Jester King, à Austin, dont plusieurs étiquettes rappellent le groupe Kiss. De Bad Attitude, en Suisse, qui en train de sortir une bière nommée Kurt, en hommage à Kurt Cobain, ou encore de la brasserie écossaise Brewdog dont le slogan est « Beer for punks ». Sinon, quelle musique irait bien avec une bonne bière…Je sais ce que moi j’écouterais avec une bonne bière, mais c’est très subjectif ! Iron Maiden par exemple, ça le ferait avec une bitter anglaise. Sur un bon Metallica, je dégusterais une bière bien forte, bien puissante et sur du Rammstein, plutôt un stout !

 

La Cave à Bulles, 45 rue Quincampoix à Paris
Ouvert du mardi au samedi, de 10h à 14h et de 16h à 20h,
Fermé le mercredi matin
http://www.caveabulles.fr/

Un avis pour “Enivrante cave à bulles

  • 07/10/2011

    « La bière. La bière.
    C’est comme si c’était mon frère. »

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