Samedi 7 décembre : Trans ultime…

Samedi… C’est fou le nombre de gens qui se promènent dans les rues, qui vont prendre un verre, qui font du lèche vitrine. On ne dirait jamais que la moitié d’entre eux n’a pas dormi depuis jeudi, ou alors je suis la seule ? Pourtant, il fait doux, le vent a tourné, et c’est l’occasion de retourner au Liberté voir Moondrag et Tekemat, duo improbable de « brass-techno ». Une free-party au soubassophone : on dit oui !

Sauf que… Échec et mat pour Tekemat (bon, d’accord, elle était facile) : impossible de rentrer à l’Étage, accrédité ou non ! Les festivaliers se comptent désormais par dizaine de milliers – 56 000 à peu de choses près -, et font massivement la queue pour les concerts gratuits. Tant pis, on en profite pour jeter un œil à l’exposition retraçant les 40 ans des Transmusicales à travers des pochettes d’albums. Des Nus, en passant les incontournables Marquis de Sade, Noir Désir, Cassius, Rachid Taha, et tant d’autres, on mesure le chemin parcouru, et l’extraordinaire diversité de la programmation.

Arrivés au Parc Expo, c’est avec cette même foule qu’il nous faudra compter. Adieu relative tranquillité des premiers jours, cette fois, les Halls sont bondés, les bars ne désemplissent pas et les coquilles d’huîtres forment sur les tablées de monstrueux édifices. Une fois sa ration de n°3 dûment gobée, on hésite avant de tenter les Britons de Mush, victimes eux-aussi semble t-il d’une avarie technique. Malheureusement, leur prestation, que l’on espérait plus tranchante, plus agitée, plus rebelle en un mot, s’avère finalement relativement classique. A moins que l’on ne se soit habitués à la radicalité made in Sibérie ? Va savoir…

Joey Quinones & Thee Sinseers © Caroline Docq pour Horsdoeuvre.fr
Joey Quinones & Thee Sinseers © Caroline Docq pour Horsdoeuvre.fr

Paradoxalement, c’est à l’appel de la soul et du ryhtm & blues, tendance doo-whop, que nous cédons. Car, du Hall 8, s’échappe de la lumière sonore, une véritable pluie de notes ensoleillées ! Et les festivaliers, comme des papillons de nuit, viennent s’y réchauffer : le concert de Joey Quinones et de ses Sinseers vient de commencer. Voix chaudes, cuivres lustrés, le R&B soyeux et inspiré du combo latino de Los Angeles transporte l’assemblée et très vite, on se masse devant la scène, les gens commencent à danser. « Viens vite, c’est génial, cours nous rejoindre ! », autour de moi, plusieurs personnes passent des coups de fil, sourire aux lèvres. « Mais sérieux, ils savent tous chanter ! ». Oui, ils savent, et avec quelles voix… Ils ont la soul chevillée au corps les Sinseers, passent d’un instrument à l’autre, se lancent dans des solos, déploient sans y penser des timbres de crooners, et le public, sans se concerter, salue chacune de leurs interventions par des clameurs, comme pour un gospel, mais en un peu plus païen. D’ailleurs, même sans le Mighty Lord, c’est l’ovation ; ils n’ont pas l’air d’en revenir eux-mêmes et osent le rappel.

Joey Quinones & Thee Sinseers © Caroline Docq pour Horsdoeuvre.fr
Joey Quinones & Thee Sinseers © Caroline Docq pour Horsdoeuvre.fr

Et c’est en dansant sur « I’m a soul man » de Sam & Dave qu’on se dirige vers d’autres paysages sonores. Diable, il n’y a pas qu’ici que ça groove, on se croirait aux heures de pointe dans le métro, en vachement plus marrant. Ça danse, ça tournoie autour de la fontaine à eau, ça hurle de rire, descend des litres de bière (pas nous hein, professionnels avant tout !) ; on discute même avec de parfaits inconnus… « Faut-faut… faut que je tienne pour le concert de, comment elle s’appelle déjà ? La – la fille russe qui rappe ? ». Elle n’est pas russe mon gars, elle est ukrainienne, s’appelle Alyona Alyona, et il va falloir t’accrocher, parce qu’elle passe à 3h30 passées !

 

Vent d’Est, vent d’Ouest, on se prépare mentalement à L’événement des Transmusicales, le concert d’Acid Arab, en assistant au set de Pletnev, DJ et producteur vraiment russe, lui, mais désormais installé en Lituanie. 1H30 d’un mix froid et profond, à la fois net et planant, à l’image de son morceau Devil’s Logic, sorti en 2017. Mais 1h30 tout de même… Je décide avec ma photographe de choc de prendre la clé des champs. Erreur ! Nous voilà prises à contre-courant d’une véritable marée humaine et il nous faudra user de ruse pour pouvoir à nouveau entrer dans le Hall 9, plein à craquer. Tant pis, on va contourner…

Pletnev © Caroline Docq pour Horsdoeuvre.fr
Pletnev © Caroline Docq pour Horsdoeuvre.fr

Mur de lumières, mur de son, la foule est si compacte qu’il faut jouer des pieds et des mains pour voir la scène. Les silhouettes des trois membres d’Acid Arab se découpent dans le lointain et toutes les voix de la méditerranée s’élèvent en mélodies verticales, portées par les basses profondes de Guido Minisky et Hervé Carvalho, désormais épaulés par Kenzi Bourras, ancien compagnon d’armes du regretté Rachid Taha. La voilà la transe, la vraie ! On danse à perdre haleine, on ne sait plus où on est ! Car, un peu à la manière de l’école de Bristol, Acid Arab sait tirer le meilleur des influences métissées et des featurings inspirés. Que ce soit les Filles de Illigahad et leur guitariste touareg très « blues », Sofiane Saïdi ou Cem, le joueur de saz, une sorte de luth que l’on trouve en Iran ou dans les Balkans, tous font entendre la richesse et la diversité de cultures issues du bassin méditerranéen. Sans cesse entremêlées par l’Histoire, se nourrissant les unes les autres, elles s’épanouissent désormais dans une incroyable boîte de nuit spontanée : Jdid indeed ! Et rendez-vous à l’Elysée Montmartre le 31 janvier 2020…

Acid Arab © Caroline Docq pour Horsdoeuvre.fr
Acid Arab © Caroline Docq pour Horsdoeuvre.fr

En attendant, il est plus 3 h du matin et l’œil cerné, la gorge desséchée et les pieds en compote, il ne nous reste qu’à finir en beauté. Nous aussi, on va « tenir » et aller voir Alyona Alyona, véritable phénomène du rap ukrainien. Adepte du body positive, rappeuse socialement impliquée, celle qui n’était il n’y a encore quelques mois qu’une institutrice de la banlieue de Kiev, dévore la scène avec un naturel déconcertant. Accompagnée d’une autre chanteuse, vêtue d’un bermuda rouge et d’un peignoir brodé à son nom, elle balance son flow jovial et implacable, souvent à la limite du chant, et tire à boulets rouges sur la aléas de la vie, le manque de confiance en soi et une société tristement formatée. Ses textes très construits, son énergie sans faille et sa joie d’être là – elle remercie en anglais, émaille ses morceaux d’apartés et de confidences -, vont bien au-delà de la barrière de la langue.

Alyona Alyona © Caroline Docq pour Horsdoeuvre.fr
Alyona Alyona © Caroline Docq pour Horsdoeuvre.fr

« пушка, пишка !! » : Rennes la trouve canon et crie sa joie. Dernière trans, transe ultime…

Mais promis, l’année prochaine, on rallume la mèche !

Transmusicales Rennes 2019 - Public © Caroline Docq pour Horsdoeuvre.fr

 

Merci à la formidable Caroline Docq pour son live report photographique