Mélissa Laveaux – Interview Radyo Siwèl

De sa voix ensorcelante et attablée à la terrasse d’un bistrot,  la chanteuse Mélissa Laveaux me parle de Radyo Siwèl, son dernier album aussi entraînant qu’engagé, inspiré de chants populaires d’Haïti. Rencontre poétique et politique.

Bienvenue sur les ondes haïtiennes…

Invitée à rendre hommage à feu la chanteuse haïtienne Martha Jean-Claude, Mélissa Laveaux s’est plongée dans ses chansons sur l’occupation américaine d’Haïti (1915-1934). Des chansons « joviales », mais chargées d’un « sens beaucoup plus lourd, avec une symbolique militante et de riposte ».  Un « langage de résistance » à l’origine d’un travail de recherche et d’un voyage… Mélissa fait glisser son regard loin du mien, et me raconte qu’à l’époque des régimes autoritaires haïtiens ayant suivi l’occupation américaine, chanter les paroles de Martha Jean-Claude, pourtant à la première écoute innocentes, relevait d’un « acte militant, un acte de méfiance » qui pouvait conduire à l’arrestation. A faire froid dans le dos…

Mélissa réinvestit cet engagement passé en valorisant la figure du musicien-penseur et elle en endosse l’habit avec une facilité déconcertante.  Enregistré dans un contexte politique alarmant pour de nombreux pays et notamment aux Etats-Unis, l’album est à ses yeux un « appel à protéger la musique, notamment la musique populaire, dans sa fonction traditionnelle de transmission d’idées ».

Trump, Angeli-ko aura ta peau

Incarnant profondément son engagement, Mélissa a chanté le morceau « Angeli-ko » à l’occasion de la campagne de dénigrement, début 2018, de Donald Trump à propos de l’immigration de certains “pauvres” venus de pays, dont Haïti, qualifiés de « shithole countries ». Chanson très à propos avec pareille actualité, et qui dénonce le « manque de savoir-faire et de tact » des occupants américains incarnés dans la chanson par une femme de général de la marine à qui l’on conseille de rentrer chez sa mère !

Plaisir de l’ambivalence de la forme « coquine » d’Angeli-ko et de son message « défiant », Mélissa insiste sur le courage que nécessite son chant et le pouvoir qu’il lui confère. Le pouvoir de dénoncer, mais également de toucher « universellement » tous ceux qui éprouvent « un sentiment d’envahissement ». Émotion lorsque des spectateurs chiliens lui confièrent avoir ressenti grâce à elle les sentiments éprouvés sous la dictature militaire d’Augusto Pinochet…

Parfois, la fleur est un couteau…

Toujours au front, Mélissa poursuit actuellement un autre projet poétique. Le spectacle « Et parfois la fleur est un couteau », qu’elle chante partiellement en créole haïtien, est animé, me confie-t-elle, par la ritournelle « La Sirèn, la Balèn » de Radyo Siwèl. Créé à Paris en juin dernier, il se jouera à nouveau à Noisiel le 24 novembre à la Ferme du Buisson. Mélissa y invoquera Azu, une déesse des eaux, témoin de la traite négrière et muse des artistes. Qualifié d’« anticolonial » par son auteure, le spectacle « reprend l’Histoire et la raconte de notre point de vue sans en victimiser les principaux protagonistes ». De façon inédite, ce sont « les conséquences de l’esclavage et la vision de l’Occident sur les personnes racisées » qui y sont narrées.

ET PARFOIS LA FLEUR EST UN COUTEAU - M. Laveaux
ET PARFOIS LA FLEUR EST UN COUTEAU – M. Laveaux

A la question du féminisme, Mélissa Laveaux me répond qu’« un combat anticolonial est un combat féministe » à l’appui de l’Histoire. « L’esclavage a séparé les familles, utilisé le corps des femmes noires comme des machines, s’est enrichi de leurs corps. Certaines plantations visaient uniquement à violer des femmes pour perpétuer des générations d’esclaves ». Mélissa m’invite à réfléchir à «l’interconnexion des discriminations et aux discriminations reproduites entre hommes et femmes, notamment dans le cadre de la mondialisation et du monde du travail ». Pour « qui veut écouter et qui veut lire », elle me conseille les ouvrages de l’écrivaine Suzanne Césaire (1915-1966). Pendant ce temps-là, des sirènes de pompiers hurlent dans la rue, il est peut-être temps d’éteindre l’incendie…

Nan Fan Bwa

Mais quid de son parcours musical ? Je découvre que chanter en créole haïtien fut pour elle un défi qu’elle a décidé de relever afin de préserver les chants populaires haïtiens interprétés dans Radyo Siwèl. Bien qu’ayant toujours connu cette langue dans son cadre familial, elle ne le parlait pas au quotidien. La guitare, qu’elle garde précieusement à son épaule au début de l’interview, elle se l’est appropriée très tôt, grâce à un cadeau de son père, lui aussi guitariste. Quant à ses influences, Lionel Richie – et sa guitariste – comptait parmi ses premières inspirations et son enfance fut également bercée, grâce à sa mère, par de nombreuses voix françaises : celles de Brassens, Brel, Joe Dassin, Michel Fugain, des compagnons de la chanson ou de Vicky Leandros…

Tout un boisseau d’influences, une forêt profonde, qu’une simple interview ne saurait nous résumer. Dehors, l’Est parisien continue son incessant ballet et je lui dis au revoir, un peu secouée, et pressée de rallumer Radyo Siwèl pour y voir un peu plus clair au fond de toutes ces nuits.

Pour faire danser nos papilles, Mélissa Laveaux nous propose un plateau-radyo alléchant !

Avec en entrée, un jus de tamarin citronné avec un soupçon de vanille et de rhum et des acras haïtiens (avis aux amateurs vegans).

Puis ce sera un poisson tilapia grillé et frit, servi avec du riz aux champignons noirs séchés « djon-djon » et accompagné d’une salade « Pikliz » pimentée de choux et de carottes râpées et fermentées. Oh la la…

En  dessert ? Un « pain patate » à la patate douce et un shot de rhum arrangé…

Vous y êtes ? On vous attend pour résister : Mélissa se produit dans les festivals cet été et part à l’automne en tournée dans toute la France !