A Moon Shaped Pool, ou de l’inutilité de la critique…

Rien n’est plus difficile que d’écrire sur une œuvre – qu’elle soit musicale, picturale ou littéraire – si la seule chose qu’elle éveille en vous est l’admiration. Quelle aspérité saisir, à quelle difformité se rattraper, si elle ne suscite rien d’autre qu’un pur sentiment d’émerveillement douloureux ?

Radiohead - A Moon Shaped Pool
Radiohead – A Moon Shaped Pool

C’est exactement ce que j’ai ressenti à l’écoute de A Moon Shaped Pool, 9ème album de Radiohead et point d’orgue d’un peu plus de vingt ans d’une carrière où le groupe a à peu près tout expérimenté. Avec ses onze titres, étrangement classés par ordre alphabétique (à moins qu’il ne s’agisse d’un hasard, d’une tricherie de l’inconscient ?), l’album s’ouvre et se referme, à la manière d’un codex du bizarre, par deux « anciens » morceaux, Burn The Witch et True Love Waits, déplacés, retravaillés, et comme « libérés » de la gangue de l’expérimental. Car dès le début de l’album on le comprend, Radiohead a cessé d’être un « Spectre »*…

Monde glacé, vide des regards-miroir, Paranoïd Androïds*, vertige de la solitude et des nombres (The Numbers est très subjectivement le cœur battant, politique et lyrique de l’album), les obsessions restent pourtant les mêmes mais les larmes cette fois sont bien réelles. Paradoxalement, l’album s’offre des respirations faussement légères – « I’m doing no harm, as my world comes crashing down, I’m dancing… » (Present Tense) – ou des incursions technoïdes sous forme de Ful Stop en guise de soupape de sécurité.

A Moon Shaped Pool est un album qui joue sans cesse avec les ruptures stylistiques et sonores au point de vous faire glisser dans un rêve éveillé où se succèdent décharges d’adrénaline et nappes de cordes orgasmiques. Grattements, pulsations, brouillard de voix parasites, guitare sèche évoquant Nick Drake (Desert Island Disk) ou Neil Young (The Numbers), rarement les arrangements auront été aussi complexes et pourtant aussi évidents. Et là, au cœur de ce dédale d’eaux troubles, organiques et sensuelles, la voix de Thom Yorke s’étire à l’infini, se dédoublant sans cesse pour exorciser des douleurs secrètes. « Broken hearts make it rain » (Identikit), indéniablement.

A sa manière, A Moon Shaped Pool accomplit un petit miracle. Cette pierre philosophale sonore transfigure la tristesse, « beyond the point of no return » (Daydreaming), pour mieux nous voir renaître, libérés, anonymes et lumineux. Voilà pourquoi cet article était, sans nul doute, voué à l’échec…

 

* Je demande, j’exige, que réparation soit faite après le refus de ce morceau pour la bande-son du dernier James Bond, à  l’avantage de… Sam Smith !

** C’est le moment de se replonger dans l’écoute du sublime OK Computer (1997) !

La version « matérialisée » de A Moon Shaped Pool sort en vinyl et en CD le 17 juin 2016 et un monstrueux coffret collector sera disponible en septembre 2016.

Radiohead est en concert au Zenith de Paris les 23 et 24 mai et aux Nuits de Fourvière à Lyon le 1er juin 2016 mais ce n’est même pas la peine, c’est complet, mais vous vous en doutiez…