Les lais de mon Moulins

Voyageuse et rêveuse, Hélène, notre envoyée spéciale sur les routes de France, s’en est Allier explorer Moulins et ses trésors cachés. Musées, maisons visitées ou projections lumineuses n’ont désormais pour elle plus de secrets : laissez-vous guider…

Mon voyage vers Moulins débute par un souvenir : les rimes sonores et nostalgiques de Théodore de Banville :

« Bien souvent je revois sous mes paupières closes,
La nuit, mon vieux Moulins bâti de briques roses,
Les cours tout embaumés par la fleur du tilleul,
Ce vieux pont de granit bâti par mon aïeul (…). »

Moulins : Le Grand Café
Moulins : Le Grand Café

Un autre ancêtre, plus que centenaire, me fait face, sur la place : Le Grand Café, sorte de chapelle Sixtine de l’Art nouveau, inscrit à l’Inventaire supplémentaire des monuments historiques. De ses immenses miroirs d’époque, qui multiplient à l’infini pilastres et guirlandes sculptées, surgit la figure Belle Époque de Gabrielle Chanel. Selon la légende, entretenue par la brasserie, la « Grande Mademoiselle », alors jeune couseuse rêvant de devenir chanteuse, aurait poussé la chansonnette au sein de l’établissement : « Qui qu’a vu Coco dans l’Trocadéro ? », qui lui valu son surnom, devenu célèbre alias. Vraisemblablement, les origines du diminutif consacré seraient plutôt à chercher du côté d’un autre « beuglant » – le café-concert de la Rotonde – mais les histoires locales ont leurs incertitudes et leurs mystifications.

Sonne l’heure, Jean demeure

L’expresso bu, je me mets en route avec mes compagnons pour retrouver Jacquemart, Jacquette, Jacqueline et Jacquelin, glorieuse famille de sonneurs… automates. Du haut du beffroi de grès rose, les enfants frappent les cloches pour annoncer les quarts quand les parents sont en charge de plus grand : les heures du cadran.

Le Jacquemart de Moulins
Le Jacquemart de Moulins

L’orgue de la Notre-Dame-de-l’Annonciation semble vouloir, quant à lui, nous annoncer notre dernière heure, mais il accorde seulement ses graves pour la Fête de la Musique ! Accompagnés de ce requiem aux airs de cor de brume, nous nous dirigeons vers une pièce presque aussi sombre qu’une crypte : la Chapelle des Évêques, qui abrite le plus beau des joyaux de la cathédrale. Notre guide-gardien, à la rythmique de bateleur qui tranche avec les notes sépulcrales, nous présente le triptyque du Maître de Moulins. Le mystère qui planait sur l’identité de l’auteur est désormais levé : plus de doute, le chef-d’œuvre est bien de Jean Hey ! En revanche, Jean-Claude aimerait que le retable conserve quelques secrets pour ses visiteurs. Je n’en dirai donc que peu de choses, l’essentiel étant de le voir, de se laisser transporter par la grâce recueillie de la Vierge en gloire, couronnée par les anges.

Le triptyque du Maître de Moulins
Le triptyque du Maître de Moulins

Sur les deux volets entourant le panneau central, figurent, agenouillés et priants, les donateurs, Pierre II de Bourbon et Anne de France, avec leurs saints patrons et leur fille Suzanne. Je trahirai quand même un dernier détail ! Du vêtement richement brodé de saint Pierre dépasse un pied nu, signe d’humilité. Le gardien des lieux ne s’en dépare pas davantage, rappelant que, si le tableau demeure, lui n’est que de passage.

« Et voici qu’un grand signe apparut dans le ciel
Une femme revêtue du soleil, la lune sous les pieds
Et sur sa tête une couronne de douze étoiles –
Apocalypse de saint Jean, chapitre 12″

Mélodies en Memento Mori

Au Musée Anne-de-Beaujeu, où nous poursuivons notre découverte de Moulins, d’autres merveilles nous attendent. « La sculpture bourbonnaise entre Moyen-Âge et Renaissance » rassemble de superbes statues de vierges et de saintes, qui paraissent toutes sœurs. Pourquoi cette ressemblance ? Parce qu’elles partagent les mêmes canons esthétiques : un visage au front haut et bombé, des yeux étirés, sous des arcades sourcilières à peine dessinées, une bouche menue, un peu boudeuse. Les mains ont aussi leur caractéristique physique : des doigts fuselés.

Nous croisons d’autres doigts, plus petits, plus potelés : ceux d’enfants, l’exposition, également ludique, étant pensée pour les familles. Nous-mêmes, les « grands », nous prenons au jeu, transformant l’écran tactile de la salle rose framboise en une joyeuse polychromie. J’écarquille les yeux, amusée, devant le Melchior de l’Adoration des mages, que l’on dirait joué par Claude Rich, n’est-ce pas ? Je plisse le front à l’histoire du Portrait d’une femme à œillet, peinture estampillée MNR (Musées Nationaux Récupération), qui, après avoir fait partie de la collection de Göring, attend, depuis la fin de la guerre, son véritable propriétaire.

L’attente ou temps suspendu imprègne les murs et les couloirs de la Maison Mantin, drôle de bâtisse entre manoir anglais et château néo-gothique, léguée à la ville afin de « montrer aux visiteurs dans cent ans un spécimen d’habitation d’un bourgeois au XIXe siècle. » La maison-musée devant assurer l’immortalité au collectionneur rentier, à qui les vanités susurraient « J’étais ce que tu es, tu seras ce que je suis », était devenue une belle endormie à la réputation de maison hantée, avant sa réouverture au public, en 2010. Aujourd’hui, on se perd avec volupté dans une autre époque à l’atmosphère éclectique, dans une profusion de curiosités. Tout nous extasie mais, dans cette villa, alors modèle de modernité, j’ai un coup de cœur, déjà consigné dans le livre d’or : la superbe et ingénieuse salle de bains, avec petit placard chauffe-serviettes !

La Maison Mantin - Moulins
La Maison Mantin – Moulins

La nuit des étoiles

Du temps, nous n’en avons plus tellement. Alors, à pas pressés, nous rejoignons la Mal Coiffée, ni Raiponce hirsute, folle à lier, ni Belle aux bois dormant échevelée, « Allier, née », et pas davantage nouvelle sainte Barbe, enfermée dans sa tour. « Mal Coiffée » désigne le donjon du château médiéval des ducs de Bourbon, en raison de sa toiture atypique, dépourvue de créneaux.

La Mal Coiffée
La Mal Coiffée

Avant de gravir, aisément, les centaines de marches pour profiter de la splendide vue sur Moulins et ses environs, nous descendons aux mitards. « Lumières sur le Bourbonnais » n’est pas seulement un éblouissant spectacle de projections monumentales habillant les sites les plus emblématiques de la ville ou du département afin de nous enchanter. C’est aussi la valorisation du patrimoine local… et de l’histoire des lieux. Son : les graffitis des cachots font entendre les voix silencieuses des victimes de la barbarie nazie. Et lumière sur les pages les plus sombres, pour en garantir la mémoire. Les yeux, en amandes ou non, se décillent : ici, pendant la Seconde Guerre mondiale, la Wehrmacht a enfermé des Juifs avant leur déportation, la Gestapo a pratiqué la torture sur des personnes soupçonnées d’appartenir à la Résistance…

La nuit tombe sur Moulins, révélant dans le ciel les premières étoiles. Celles à venir sont annoncées par Pierre-André Périssol, maire de Moulins et Président de Moulins Communauté : « À Moulins, nous avons des joyaux, des pépites, mais nous ne les voyons pas toujours. En éclairant ses étoiles, Moulins pourrait ainsi rayonner sur l’extérieur. (…) Mais c’est aussi pour les habitants de ce territoire, pour qu’ils puissent voir ce dont ils sont gardiens, dépositaires, héritiers ». Le château des ducs de Bourbon s’illumine. Le mapping en vidéo fait défiler les grandes dates et jette, simultanément, plein d’étoiles dans nos yeux. Je redeviens enfant, admirant un feu d’artifice et rêvant à la Lune souriante.

Lumières sur le Bourbonnais
Lumières sur le Bourbonnais

La soirée se poursuit, fascinante. Chacun aura SON apogée. La mienne se vit à 180°, devant Jacquemart, l’Hôtel de Ville et le bâtiment d’antan de la Caisse d’Épargne. Le beffroi, sorte d’horloge de la vie, actionnée par le cosmos étincelant, égrène les saisons. L’Hôtel de Ville se pare de mousse et d’herbes folles où danse l’ombre chinoise des fantômes valsant. Je n’en aurais jamais assez, je ne serai jamais lassée. Je veux la boucle, le rappel. Tout s’éteint pourtant jusqu’à la prochaine étape du parcours : l’église du Sacré-Cœur.

L’édifice classé nous dévoile en avant-première, sur une toile constellée d’or et d’argent, les trésors du Musée de la Visitation, petite perle que nous explorerons demain, avidement.

Sur la façade du Centre national du costume de scène (CNCS), les stars sont d’opéras, les étoiles sont de ballets. Pavarotti et la Callas, en écho à l’exposition du moment*, jaillissent des archives comme d’outre-tombe, accompagnés par les parfaites arabesques de Noureev.

Demain encore, un testament mettra à jour un nouveau désir d’éternité :

« Je souhaite (…) voir mon nom perpétué sous la forme d’un musée ou d’une galerie d’exposition commémorant mon style de vie et ma carrière en tant qu’individu et danseur. »

La mort a le tic tac d’un automate. Tout, ici, nous rappelle qu’il faut cueillir dès aujourd’hui les roses de la vie. Alors hâtez-vous de venir avant que l’automne, au 1er octobre, ne sonne la fin des réjouissances !

La nuit avance. Il est temps d’aller rêver au réveil où d’autres lumières, d’autres étoiles, feront briller nos yeux.

Spectacle de lumières, chaque soir, à la tombée de la nuit, jusqu’au 30 septembre :

Lumières sur le Bourdonnais

  • Le château des ducs de Bourbon : Jardin Bas – rue du Vert Galant/La Mal Coiffée.
  • « Lumières sur le Bourdonnais » est un projet de mise en lumière des premiers édifices majeurs du Bourdonnais. Le château ducal de Montluçon et l’Hôtel de la Borderie, à Cusset, seront donc bientôt également sous les projecteurs. Affaire à suivre !

Moulins entre en scène

  • Le Jacquemart, l’Hôtel de Ville et le bâtiment historique de la Caisse d’Épargne, place de l’Hôtel de Ville.
  • L’église du Sacré-Cœur, 1 rue Blaise Pascal.
  • Le Centre national du costume de scène (CNCS).

Informations complémentaires sur le site

Moulins et ses pépites :

  • Le Grand Café, 49 place d’Allier. Vaut surtout pour son ambiance et sa déco.
  • La cathédrale Notre-Dame-de-l’Annonciation, place des Vosges. Entrée gratuite.
    Visite guidée du triptyque du Maître de Moulins hautement recommandée ! Tarif adulte : 3 €. Enfant (20 ans) : 2 €. Retrouvez les jours et horaires d’ouverture sur https://www.moulins-tourisme.com/visite-culturelle/triptyque-du-maitre-de-moulins/
  • Le Musée Anne-de-Beaujeu, place du Colonel Laussedat.

Exposition « La sculpture bourbonnaise entre Moyen-Âge et Renaissance », jusqu’au 8 mars 2020. Plus d’infos sur Musées Allier.

  • La Maison Mantin, qui se visite uniquement avec un guide-conférencier. Entrée par le Musée Anne-de-Beaujeu.
  • La « Mal Coiffée »: visite uniquement guidée et places limitées : réservez ! Billet délivré à l’accueil du Musée Anne-de-Beaujeu : 04 70 20 48 47
  • Le Musée de Visitation, 4 place de l’Ancien Palais. À voir absolument ! Horaires et tarifs sur le site du musée.

En complément de l’exposition permanente, l’exposition temporaire : « 1619-2019, le Paris des Visitandines », jusqu’au 22 décembre 2019.

  • Le Centre national du costume de scène (CNCS), Quartier Villars – Route de Montilly.Également à visiter : la superbe exposition « Habiller l’Opéra », jusqu’au 3 novembre 2019, et l’incroyable collection Noureev, permanente. Infos pratiques sur http://www.cncs.fr/.