King of Jungle Blues
N’avez-vous jamais rêvé de voyager dans le temps, comme Woody Allen dans son dernier film, et d’y rencontrer de défuntes idoles ? Pour ma part, c’est fait. Le 26 octobre dernier, à la Maroquinerie, j’ai vu Blind Willie Johnson sur scène. Non, attendez, en fait c’était W. C. Handy… ou Bessie Smith, jouée par un homme blanc ? A moins que ce ne soit le célèbre King Hokum himself, j’ai nommé C. W. Stoneking.
Le voilà qui arrive sur scène, ce roi du Jungle Blues, nœud papillon rouge et costume blanc, accompagné d’une guitare ou de son fidèle banjo. Échappé d’une pellicule en noir et blanc, les cheveux soigneusement lissés en arrière, l’élocution ralentie par d’invisibles microsillons à 78 tours, sa nonchalance feinte se teinte d’inflexions goguenardes et de plaisanteries souvent incompréhensibles.
La légende dit que le King Hokum vint des Etats-Unis, qu’il embarqua vers l’Australie, ne trouvant en ces terres hostiles que le réconfort des aborigènes à qui il enseigna le Louisiana Blues et des blagues salaces* (You took my thing and put it in your place ?). À moins que n’ayant trop bu, il n’ait perdu son argent au jeu dans une taverne louche, ou qu’à dessein scientifique, il ait vogué vers l’Afrique sur le Mississipi Song-O, puis fit naufrage, ne trouvant le salut que grâce au rythme de la calypso.
C. W. Stoneking est un conteur, un merveilleux bonimenteur de jazz mais un imitateur, jamais. Sur scène, il raconte des histoires, embraye sur les chansons de ses deux albums, ne se départit presque jamais de ce flegme imaginaire qui fait son personnage, un peu à la manière de Max Raabe (autres temps, autres mœurs…). Accompagné de son Primitive Horn Orchestra, il est vraiment ce Greatest Liar magnifique, exception faite que sa musique est d’une parfaite sincérité.
Le public suit, chante, rit aux misères du Talking Lion Blues et tape du pied, complètement conquis. On s’étonne enfin que ce Paris du nouveau blues frémisse d’un seul homme en entendant Brave son of America, la seule chanson, comme Stoneking le fait remarquer, qu’il n’ait pas composée ou l’impeccable Don’t Go Dancin’ Down The Darktown Stutter’s Ball. Quant à The Love Me Or Die, il acheva de me convaincre qu’un « hoodoo charm » avait été lancé sur l’assistance, moi comprise.
La grande machine à remonter la musique nous emporta loin ce soir-là, dans des jungles de carton pâte, sous des cieux de toile peinte, refuges merveilleux pour un « Artist » à la Hazanavicius, de ceux dont les Jungle Lullaby et l’humour nous renvoient à des temps d’avant la fièvre, qu’elle soit de 1929 ou plus près de nos cœurs…
* Le Hokum existe vraiment ! Il s’agit d’un blues farceur où le chanteur racontait des histoires, avec force plaisanteries et sous-entendus bourrés d’allusions sexuelles ou de provocations raciales. Pour s’en convaincre, écoutez les Hokum Boys ou Bo Carter !
Envie d’acheter un CW Stoneking ?
Visuel, clip : comment en effet ne pas penser à The Artist ! Complètement dépaysant ! Je vais de ce pas prendre la machine à remonter le temps et me laisser emporter par Hokum Boys ou Bo Carter ! Merci !
Excellent ! J’y étais aussi 😛
Les Primitive Horn Orchestra assurents méchant et le cw stoneking, imperturable, une sorte de Droopy au banjo façon « Dock Boggs ».
Plaisir !
Merci pour le tuyau HOKUM 😉