Billie Holiday, Lady in Satin

Billie Holiday aurait eu 100 ans le 7 avril 2015. Pour célébrer ce centenaire, l’excellente collection spécialisée dans la musique, Rivages Rouge (des éditions Payot et Rivages), sort une biographie singulière sur l’icône terrible du jazz : Lady In Satin, Billie Holiday, portrait d’une diva par ses intimes de Julia Blackburn. L’occasion de revenir sur cette chanteuse d’exception.

Une genèse dramatique du livre pour une diva dramatique

Billie HolidayTragiquement, l’élaboration de ce livre contribue sans le vouloir à développer une historiographie du drame autour du personnage de Billie Holiday. Durant les années 70, une jeune femme nommée Linda Kuehl entreprend d’effectuer des interviews de proches – et moins proches – de la chanteuse décédée en 1959 pour tenter d’écrire sa biographie. Elle accumule des heures et des heures d’enregistrements pendant des années. De manière brutale et inattendue, elle se suicide après un concert de Count Basie à Washington, en abandonnant derrière elle ces innombrables et précieuses archives sonores. C’est cet exceptionnel matériau brut que récupère la romancière anglaise Julia Blackburn trente ans plus tard.

Billie vue par son entourage…

Mais ces entretiens sonores sont dans un état de conservation médiocre, ils sont confus, bruyants, et les témoignages en eux-mêmes sont effectués sur des personnes souvent très âgées, peu fiables et physiquement atteintes – quasiment tous d’anciens alcoolos ou shootés -, avec des récits contradictoires, tronqués ou déformés. De ce kaléidoscope désordonné, la galerie de portraits de personnages peuplant Harlem dans les années 30 à 50 (putes, macs, musiciens…), est sans doute un des intérêts majeurs de cette étonnante biographie qui décrit, en creux, une époque difficile où le jazz s’installe aux États-Unis, et dessine un portrait émouvant et terriblement touchant de Lady Day, personnage hors norme et complexe.

Eleanora devient Billie

Née Eleanora Fagan à Philadelphie en avril 1915 d’une mère de 18 ans et d’un père de 16, elle déménage à Baltimore durant son enfance et s’installe définitivement par la suite dans Harlem à New York. On a tout dit et tout entendu sur la vie de Billie. Tout est, malheureusement, souvent vrai. Une enfance épouvantable, la prostitution, le viol, la drogue – très tôt -, l’alcoolisme, la prison, les institutions religieuses calamiteuses, des parents absents, des maris qui lui piquent son fric… L’entourage quotidien de la jeune Eleanora est violent et tragique, mais l’envie de chanter est déjà là. Irrépressible. Dès qu’elle a un peu de succès dans les clubs,elle change de prénom, reprend le nom de son père et devient Billie Holiday.

All Of Me. Les différentes facettes de Lady Day

Repérée à 18 ans par John Hammond, elle joue avec Bennie Goodman, puis Louis Armstrong, Duke Ellington, Count Basie, Lester Young (son ami de toujours et frère de cœur), elle reprend les standards avec déjà cette voix atypique, rauque, sensuelle, étrangement intime, mais parfois avec une certaine légèreté qu’on oublie : Nice Work If You Can Get It, A Fine Romance, Easy Living, The Man I Love… La drogue et l’alcool font partie de sa vie – la défonce dans le jazz à cette époque est presque un euphémisme – mais Billie peut enfin s’acheter ses fameux visons dans lesquels elle se protège et qu’elle aime balancer sur une chaise quand elle entre dans un club, et s’autoriser des gardénias dans les cheveux. Ses deux caractéristiques de diva du blues qui lui sont éternellement associées. Les propositions de tournées commencent alors à affluer.

Strange Fruit. Et le sommet de sa gloire

Stange Fruit (1939) est sans doute le titre qui a le plus contribué au succès de Billie Holiday, avec God Bless the Child. Évoquant les Noirs lynchés sauvagement par les Blancs sur les branches des arbres – pendants comme des « fruits étranges »- dans le sud des États-Unis, cette sublime chanson parle évidemment de ségrégation et de crimes racistes. L’interprétation puissante,  intense et désespérée de Billie en fait un incontournable. Elle n’a personnellement pas connu cette violence, mais a cependant subi de plein fouet le racisme en Amérique. Billie est régulièrement refoulée de certains clubs – et lieux publics – pour sa couleur de peau. Strange Fruit, est pourtant l’un des ses plus grands succès même auprès du public Blanc. Mais elle n’est pas dupe : “On a beau se couvrir de satin blanc jusqu’au nichons, se mettre des gardénias dans les cheveux, ne pas voir de canne à sucre à perte de vue, c’est comme si on travaillait toujours dans une plantation.

Lady In Satin. L’album crépusculaire

Billie HolidayLady in Satin (1958) est l’avant dernier album de Billie. Considéré, en fait, comme le dernier. Ultime révérence, douloureuse et poignante de Lady Day. Le musicien Ray Ellis raconte les enregistrements éprouvants de cet album dans le livre. Billie est alors totalement ravagée par l’alcool et la drogue, son corps se casse la gueule, littéralement. Elle est souvent incapable de chanter. Ecoeuré par ce “calvaire”, comme il nomme ces sessions lui-même, Ray Ellis ne veut plus entendre parler de Billie Holiday et de ce disque une fois terminé. Mais quand par la suite, il le reçoit, l’émotion l’envahit : “J’étais déprimé parce que je l’adorais !”.

Incontestablement, Lady In Satin est un grand disque. Peu importe si Billie fait des fausses notes. Sa voix à bout, son émotion, sa tristesse, son effondrement et sa volonté malgré tout de s’accrocher sont particulièrement palpables et bouleversants. Elle meurt l’année d’après en 1959, et laisse derrière elle l’une des œuvres artistiques les plus fortes et les plus marquantes dans l’univers des chanteuses de jazz. Il y a eu Sarah, Ella, Nina… et avant elles, Billie.

Billie Holiday - Lady Satin
Julia Blackburn
Lady In Satin – Billie Holiday
Portrait d’une diva par ses intimes
collection Rivages Rouge
éditions Payot & Rivages
Paris, 2015, 332 p. 22 €.

 

Sélection totalement suggestive de quelques titres :

Easy Living. Teddy Wilson & his orchesrta (Lester Young, saxo). New York, juin 1937
The Man I Love. Billie Holidays & her orchestra (L. Young, saxo). New York, déc 1939
Stange Fruit. Billie Holiday & her orechestra. N.Y, avril 1939
Don’t Explain. New York, août 1945
You Go To My Head. Billie & her orechestra. Mai 1938
All Of Me. N.Y, mars 1941
God Bless The Child. N.Y, mai 1941
My Man. N.Y, décembre 1948
I’m Fool to Want You. Album Lady In Satin. 1958
You’ve Changed. Album Lady in Satin. 1958
The End of a Love Affair. Album Lady in Satin. 1958

Un avis pour “Billie Holiday, Lady in Satin

  • 22/04/2015

    Bravo à toute l’équipe d’ hors d’oeuvre sur cet excellent article…Sincèrement bravo aussi pour le choix des morceaux choisis…

Comments are closed.